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LE CREUSOT ET LES MINES DE SAONE-ET-LOIRE,


PAR M. L. SIMONIN.
1865. – TEXTE ET DESSINS INÉDITS


LES HOUILLÈRES DU CANAL DU CENTRE.

MONTCHANIN.


Réseau ferré. - Port sur le canal. - Mine et tuilerie de Montchanin. - Un gentilhomme campagnard.
La recherche de l'inconnu. - Trait de courage d'un sondeur.

Les boiseurs de la mine de Montchanin lançant les étais dans le puits incliné.

La première station qui relie le chemin de fer du Creusot à celui de Lyon à la Méditerranée, en allant vers le canal du Centre, est celle de Montchanin. Nous la connaissons déjà. De ce point se détache, vers le nord, la voie ferrée qui mène à Chagny; vers le sud, celle qui conduit à Blanzy et au Montceau. Ces lignes de fer ont vivifié le bassin' houiller du Centre, et sont devenues, pour parler comme les compagnies, de véritables têtes de lignes. La voie de Montchanin au Creusot marche vers Nevers, celle de Blanzy et le Montceau vers Moulins. Elles complètent ainsi toutes deux, pour les départements de Saône-et-Loire et de la Nièvre, les embranchements secondaires du grand réseau français.
De Montchanin, la voie ferrée du Creusot descend jusqu'au bord du canal du Centre. Le port sur le canal mérite d'attirer nos regards par sa bonne disposition, l'installation de ses quais, de ses grues. C'est là que les marins d'eau douce viennent vider leurs chalands. Ils apportent au Creusot le minerai de fer du Charollais, de la Nièvre, du Berry. La pierre est en paillettes jaunes, ou en grains arrondis qu'ou prendrait pour des pois fossiles. C'est aussi la houille de la Nièvre ou de la Loire qu'amène la voie d'eau. Au retour on charge le fer en rails ou en barres, et dans ce mouvement incessant s'alimente notre navigation intérieure, non moins digne d'intérêt que la navigation maritime.
Laissons le port et ses mariniers vigoureux, et rentrons à Montchanin. Sur un large boulevard se dresse une double rangée de maisons: c'est la ville. A l'une des extrémités est une mine de charbon, dont les édifices se mêlent à ceux de la cité. Quelques-uns des puits, vieux serviteurs qui ont fait leur temps, ruinés, abandonnés, présentent au milieu du paysage un tableau qui ne manque pas de caractère.
L'exploitation de la houille, non moins que le travail des champs, a concouru au développement et au bien-être du pays. Cependant on ne saurait nier que le voisinage de la houillère n'ait été quelque peu nuisible à la campagne. Çà et là, le sol s'est affaissé par grandes places. Des fissures, des tassements énormes se sont produits. C'est le résultat du travail souterrain, des vides gigantesques provenant de l'excavation de la houille, surtout à l'époque où la méthode des éboulements n'avait pas encore été remplacée par celle des remblais.
La houille exploitée à Montchanin forme des amas énormes; elle est de qualité moyenne, et se réduit facilement en menu. Quels cataclysmes, quels soulèvements ont accompagné le dépôt de ce charbon fossile pour donner à son gisement des formes aussi anormales?
On a pénétré par des galeries et des puits au cœur de ces amas; la noire forêt de pierre a été découpée en piliers préparés pour l'abatage, de même façon qu'on aménage une forêt végétale pour la coupe des taillis. Ici seulement la forêt ne repousse plus; le charbon ne se reproduit pas comme le bois.
Sur le plan, le détail de ces travaux préliminaires, de ces galeries qui se coupent à angle droit, de ces pâtés de remblais, rappelle les rues et les îles de maisons. L'analogie peut aller plus loin: une mine n'est-elle pas une ville souterraine ?
Les ouvriers de la houillère de Montchanin sont frères de ceux que nous connaissons déjà : soldats courageux, affrontant en face les ennemis de l'abîme, allant tous au combat sans se plaindre, piqueurs, boiseurs, mineurs au rocher, et tous obéissant sans murmure aux ordres 'de leur brave capitaine, le modeste et savant M. Poizat, ingénieur en chef de la mine.
Une partie du combustible extrait est expédiée au Creusot; l'autre portion est mêlée à du brai anglais, et moulée mécaniquement en briquettes. Sur place le combustible est employé à la cuisson de la chaux et surtout des briques. Le gérant de ces mines, M. Ch. Avril, a eu l'heureuse idée d'exploiter l'argile du pays en même temps que la houille, et avec un combustible qui n'est pas de première qualité, mais une argile douée de propriétés exceptionnelles, il a monté une belle tuilerie. La terre qu'il met en usage peut faire concurrence aux terres les plus renommées de Bourgogne. La Bourgogne d'ailleurs n'est pas loin, et géologiquement nous y sommes encore. De cette usine sortent des tuiles plates à crochet, légères, de couleur rouge tendre, de tous les modèles, et toujours du plus heureux effet. M. Avril a deviné ce que peu de fabricants savent encore comprendre, c'est qu'il fallait unir l'agrément et en même temps la simplicité de la forme, aux exigences architecturales. On peut prédire à ces produits une réussite de plus en plus grande, et déjà les suivre par la pensée sur les toits des gracieuses habitations des tropiques, à Cuba, à l'île Bourbon, à île Maurice, pays fortunés où le bois a jusqu'ici remplacé volontiers la tuile.
Il nous faut visiter l'usine de Montchanin. Sa bonne distribution, le mouvement cadencé des appareils réglé automatiquement, c'est-à-dire par des machines, l'ordre, la propreté qui règnent dans tous les ateliers, laissent une impression agréable. Là travaillent presque partout des femmes, ce qui ne gâte rien à la vue.
Les tuiles plates à crochet dont nous avons déjà parlé, les tuiles faîtières, les briques creuses, qui ont apporté tant d'économie d tant d'avantages dans les constructions, les carreaux taillés en polygone, lustrés, polis comme à la cire, tels sont les principaux produits de la tuilerie de Montchanin, qui livre chaque année·plusieurs millions de pièces à ses fidèles clients.
Le directeur de cette belle usine, non content d'exploiter la houille et l'argile, exploite aussi la terre, j'entends la terre arable. Vrai gentilhomme campagnard, il a bâti une gracieuse villa toujours ouverte aux visiteurs, et autour de son habitation a défriché, planté, cultivé le sol sur une vaste étendue d'hectares. L'élève du bétail préoccupe aussi ce fidèle disciple des Géorgiques. Réussissant dans toutes ces industries, goûtant de plus les joies de la famille, il mène une vie bien remplie, et cueille loin du bruit chaque jour que Dieu lui donne, carpe diem, comme dit Horace.
Voilà que je me mets à discourir et presque à philosopher; mais je reprends bien vite le pic, à chacun sa besogne, suum cuique, puisque je suis en train de parler latin.
Quand on examine sur la carte la situation relative du terrain houiller de Montchanin et de celui du Creusot, on remarque qu'entre ces deux mines, et sur une longueur de près de six kilomètres, le bassin carbonifère est recouvert par des grès bigarrés, roches grenues, sableuses, ainsi nommées par les géologues à cause de l'irisation de leurs couleurs, qui passent souvent sur le même point, du rouge au vert et au jaune.
Au Creusot, la couche -affleure au flanc nord de la vallée dans laquelle est bâtie l'usine. Elle s'enfonce sous le sol vivement, presque d'aplomb. A deux cent quarante mètres de profondeur, elle se moule sur le terrain qui la supporte et s'étend en une nappe ondulée, qui ne tarde pas à buter contre ce qu'on appelle en géologie une faille. C'est une dislocation du terrain où la couche manque, faillit. Une barre de roches stériles coupe brusquement le terrain houiller. La couche, rompue, a glissé, elle a été rejetée au delà de cette barre, pour reprendre, à un niveau plus bas sans doute, sa primitive allure. Mais la barre n'a pas été franchie. Est-on certain de retrouver au delà le prolongement du terrain houiller, et si ce terrain s'y rencontre, à quelle profondeur passe-t- il ?
L'existence de la houille à Montchanin permet de répondre affirmativement à la première de ces questions; le Creusot s'est chargé de la solution de la seconde.
Dans un livre récemment édité (La vie souterraine ou les mines et les mineurs, Paris, Hachette, 1867), j'ai parlé de cette recherche de l'inconnu, où les applications les plus hautes de la géologie souterraine et de la physique du globe, se mêlent à une dramatique aventure. « Quelle fortune pour le Creusot, en présence de' son énorme consommation de houille, si son riche gisement se reliait à celui de Montchanin ! Dès 1853 un sondage fut donc décidé. Appelé pour en fixer le point le plus propice, le savant géologue, M. Fournet, professeur à la Faculté des sciences de Lyon, commença de patientes études. Après plusieurs mois d'investigations, il indiqua le lieu dit la Mouille-Longe, entre le Creusot et le canal du Centre, comme celui qui lui paraissait le plus convenable pour le sondage projeté. Tout aussitôt M. Kind fut convié à entreprendre ce travail. Les outils les plus perfectionnés furent mis en usage; on en inventa même pour ce cas spécial. Des cylindres massifs, de trente centimètres de diamètre, d'une longueur de près d'un mètre, furent successivement extraits. Le témoin, remonté, au jour était immédiatement examiné avec le plus grand soin, étiqueté et classé.
« En 1865, visitant à diverses reprises le Creusot, j'ai vu, dans les collections de la houillère, ces précieux échantillons qu'on y conserve religieusement. J'ai pris, je l'avoue, un bien vif plaisir à les étudier, en songeant au prix de quels longs efforts on est seulement parvenu à les extraire et de quelles profondeurs ils sortaient. Dans leur ensemble, ils forment la coupe géologique assurément la plus exacte et la plus intéressante que l'on connaisse.
« Le sondage de la Mouille-Longe a duré quatre ans;' il ne s'est arrêté qu'en 1857. On était arrivé à la profondeur énorme de neuf cent vingt mètres; et le trou qui, au début, avait le diamètre de trente centimètres, en avait conservé un de seize. On n'avait pas quitté le terrain houiller, et des empreintes de végétaux particuliers qu'on voyait sur la section des colonnes ramenées par la sonde, avaient été soumises à l'examen de M Adolphe Brongniart. Le grand botaniste avait reconnu dans ces empreintes l'Annularia longifolia, l'une des plantes caractéristiques du terrain houiller. Un accident que rien ne faisait prévoir, vint malheureusement arrêter ce sondage, le plus profond de beaucoup qui ait jamais été exécuté, et qui est passé presque à l'état légendaire pour ceux qui s'occupent de ces sortes de travaux. Au fond du trou, l'outil de sonde s'était rompu. Dans ce boyau étroit, resté cependant vertical et où il fallait chaque jour descendre et remonter patiemment les trépans d'acier, en vissant et en dévissant successivement les tiges qui étaient en bois, il était pour ainsi dire sans exemple que nul accident grave ne fût encore survenu. M. Kind, dont la longue et pénible carrière de sondeur a été marquée par tant de péripéties diverses, vit cette fois son expérience en défaut. Aucun de ses grappins ne put mordre sur l'outil engagé; toujours le trépan, retenu captif, refusa de se laisser saisir, et il fallut, au bout de six mois d'efforts infructueux, abandonner le trou sans espoir de jamais le reprendre. Le Creusot eût donné volontiers un million pour que ce travail ne fût pas interrompu.
« Quelques jours après l'abandon définitif, le contremaitre Gentet (il faut conserver le nom de ce brave homme), monté sur la plate-forme du sondage, essayait encore, dans un suprême effort, de ramener l'outil engagé. Il voulait, dans un de ces moments de prescience qui ne sont pas rares chez le sondeur, vaincre l'obstacle qu'il lui semblait deviner au fond du trou. La machine à vapeur, organe moteur de la sonde, tirait de toute sa force sur la tête des tiges que Gentet secouait fortement, lorsque tout à coup un craquement sinistre se fit entendre: c'était le câble qui se rompait. Gentet avait la main sur la première tige, très-près d'un plancher de service par où elle s'engageait. Sa main resta prise comme dans un étau, serrée par ce poids énorme de plusieurs milliers de kilogrammes.
« L'engin voulait redescendre, et sans cette main interposée là comme un coin, il serait retombé au fond. Tandis que ses camarades, perdant la tête, ne savaient plus comment le dégager, le patient, resté seul de sang-froid, leur indiqua de scier la tige au-dessous, unique moyen qu'il y eût de faire cesser son horrible torture. Puis, tenant les lambeaux de sa main broyée (c'était la droite), dans celle restée intacte, il franchit à pied la distance d'une lieue qui le séparait du Creusot, et là, sans pousser une plainte, il supporta l'amputation du poignet. Les exemples d'un aussi vaillant courage ne sont pas rares chez les mineurs.
« Depuis cet accident, le sondage de la Mouille-Longe a été complètement abandonné. La charpente qui, recouvrant le trou, abritait la machine à vapeur et tout l'appareil avec elle, le village d'ouvriers bâti dans le voisinage en vue d'une prochaine exploitation, tout cela est demeuré désert. Seul, un infatigable observateur, M. Walferdin, qui a porté sur tant de points ses thermomètres à déversement (ainsi nommés parce que le déversement du mercure dans une ampoule qui surmonte l'instrument, y marque le maximum de température), est venu revoir un jour ce sondage, pour y vérifier une fois de plus la loi d'accroissement de la chaleur souterraine avec la profondeur. En opérant sur toute la longueur du trou, il a reconnu que le thermomètre montait en moyenne d'un degré centigrade par vingt-sept mètres d'abaissement sous le sol, résultat conforme à la loi généralement admise par les physiciens qui comptent une élévation d'un degré du thermomètre pour vingt-cinq à trente-cinq mètres de descente verticale. Cette loi se vérifiant jusqu'aux plus grandes profondeurs connues, il n'est pas de raison pour qu'elle ne continue pas à être vraie au delà de cette limite, et il en résulte qu'à une lieue sous terre on a la température de l'eau bouillante, cent degrés; à vingt lieues, toutes les roches, tous les métaux sont en fusion: Ce qui explique les éruptions volcaniques, les tremblements de terre; et, dans le passé de notre planète, le soulèvement des chaînes de montagne, les dislocations du sol, la formation des filons, l'origine des eaux thermales, etc.
Mais la physique du globe n'a pas seule profité du sondage de la Mouille-Longe. La géologie des terrains houillers en a tiré aussi un grand enseignement. Ce que les spéculations de la science permettaient d'entrevoir, est aujourd'hui un fait que la pratique à vérifié et victorieusement démontré. Le terrain houiller, le charbon, existent entre le Creusot et Montchanin, et le mineur portera un jour son pic au fond de cette ancienne mer houillère, dont les richesses sont réservées à l'avenir.
Un ami à qui je racontais un jour la triste aventure de Gentet, me demandait ce qu'il était devenu. Les chefs du Creusot ont pris soin de ce brave serviteur en l'attachant à la surveillance des fours à coke, et ils ont également donné quelques soulagements à sa famille.

Plan d'un étage d'exploitation de la houillère de Montchanin

 

II


BLANZY ET LE MONTCEAU.


Le railway et les houillères. - Centre d'exploitation, - installations élégantes. - Qualités de houille extraites. - Institutions philanthropiques.
Village des Alouettes. - Les ouvriers et les compagnies.


Le chemin de fer qui mène de Montchanin à Blanzy et au Montceau, marche de conserve avec le canal, et comme si ce n'était point assez, une large route de terre, traversant de belles campagnes, se mêle à la voie de fer et à la voie d'eau. Heureux le pays auquel une étoile propice a départi avec tant de prodigalité les voies de communication, qui sont la source la plus féconde de l'industrie et du commerce, et dont tant de localités en France sont encore déshéritées!
Les nouvelles' houillères que nous allons parcourir forment le prolongement, vers le sud, de celle de Montchanin. C'est la portion la plus productive, la plus fertile de tout le bassin de Saône-et-Loire. Bien des points y sont encore vierges; mais on peut dire que la bonne conduite et l'économie de l'exploitation le disputent à l'abondance et à l'excellente qualité du combustible.
MM. Chagot, dont le nom a été déjà prononcé parmi ceux des fondateurs du Creusot, ont créé aussi les mines de Blanzy et du Montceau, les dirigent encore et les ont portées au degré de prospérité qu'elles ont depuis longtemps atteint, et où elles n'ont cessé de se maintenir. Naguère le centre de l'exploitation était à Blanzy, aujourd’hui c'est au Montceau que sont réunis presque tous les services. Là réside la direction, là sont les bureaux, les principaux puits, la principale cité·ouvrière, le port le plus animé du canal du Centre, la plus importante station de la voie ferrée.
Quelles merveilles ne produit pas l'industrie ! Jadis il n'y avait en ce lieu ni culture ni habitants. Aujourd'hui il y a un gros bourg, un port commercial animé. A la voie de fer de la compagnie de Lyon s'unit la voie de fer de la mine. La houillère a ses locomotives, et traîne elle-même ses wagons, combles de houille, de la bouche des puits ou des galeries à la station du chemin de fer. Ces petites locomotives de mine sont sorties du Creusot, et c'est plaisir de les voir travailler.

Vieux puits abandonné de la mine de Montchanin

L'installation des puits a été faite au Montceau avec un luxe tout particulier. La chambre des machines est dallée, lambrissée; les machines, sans cesse graissées, frottées, reluisent comme une glace. De larges fenêtres versent à pleines baies le jour et la lumière dans l'appartement, partout fermé et couvert d'un toit. Les chaudières elles-mêmes sont soigneusement abritées. On dirait la machine d'un vaisseau amiral, et non celle d'une mine de houille.
Les dispositions intérieures des puits, des galeries, ne laissent non plus rien à désirer. Des cages guidées remontent au jour les berlines de charbon; les hommes circulent également dans les puits par ce moyen perfectionné. De fortes machines d'épuisement extraient l'eau des chantiers souterrains. Le style des charpentes qui couronnent j'orifice des puits, est le même qu'au Creusot. Dans l'exploitation, la méthode des remblais a peu à peu remplacé partout celle des éboulements. De vastes carrières extérieures sont ouvertes dans ce but, et permettent d'amener dans les tailles la roche stérile qu'on n'y rencontre pas en assez grande abondance.
Les couches de houille exploitées sont au nombre de deux, et ont douze à seize mètres d'épaisseur. Jadis on n'en connaissait qu'une. Elles sont quelquefois divisées, rompues par des barres et des nerfs de grès et de schiste. Elles donnent un combustible dont les qualités varient suivant la couche qui le fournit et les points d'où on l'extrait, comme si la nature de la houille avait dû changer avec l'exposition des plantes qui l'ont formée. Les houilles flambantes bonnes pour la grille et les fours à briques; les houilles grasses, collantes, destinées à la maréchalerie, à la fabrication du coke, du gaz; les houilles sèches, dures, à courte flamme, recherchées par les fours à chaux, etc. : toutes ces variétés de combustible se rencontrent dans les mines de Blanzy et du Montceau. La deuxième couche est de qualité sensiblement plus grasse que la première, et fournit les charbons à coke. Nous avons vu qu'une partie de ces houilles était dirigée sur le Creusot. Une verrerie consomme sur place une autre partie des charbons extraits. La plus grande quantité est expédiée à Chalon par le canal du Centre. L'usine à gaz de cette ville et celle d'Autun emploient uniquement la houille du Montceau.
L'atelier de lavage des charbons est parfaitement installé; sur des cribles mécaniques la houille est séparée des parties stériles qui la salissent. Les menus purifiés sont ensuite mêlés à du brai, et comprimés en briquettes pour le service des locomotives et de toutes les machines à vapeur.
Les mines fournissent à peu près 450 000 tonnes par an de houilles de différentes sortes. Elles occupent environ 3000 ouvriers, hommes, femmes ou enfants. Tous les ouvriers sont logés dans des cités fondées sur le type de celles dont nous avons parlé précédemment. Ils jouissent des mêmes avantages que les ouvriers des compagnies voisines du Creusot et d'Épinac. Il est même bon de rappeler, à propos de toutes ces institutions philanthropiques créées en faveur des mineurs, que Blanzy a donné un des premiers l'exemple. Dès 1834,la compagnie exploitante établissait sur ses mines une caisse de secours, et songeait à loger ses ouvriers. Elle a fondé tour à tour quatre cités, et adopté définitivement le type des maisons isolées. Un magasin de denrées alimentaires a été aussi organisé en 1847. Les principales substances qui forment la base de l'alimentation du mineur, le blé, la farine, les salaisons, l'huile, etc., sont livrées à prix coûtant. Enfin, en 1854, une caisse de retraite en faveur des vieux ouvriers est venue compléter l'institution de la caisse de secours.

Parmi les cités bâties pour les mineurs, la plus nouvelle, celle qui compose le village dit des Alouettes, se rattache directement au Montceau: on croirait voir une de ces cités américaines qu'un jour voit naître au milieu des déserts quand les énergiques pionniers du Far-West, s'éloignant toujours davantage des bords du Mississipi, font un pas de plus vers la colonisation des prairies et des forêts vierges. Ici, comme en Amérique, on a bâti l'église et l'école en même temps que les maisons. Il ne manque plus qu'un journal pour que la similitude soit complète; mais nos mineurs ne lisent pas encore autant, ne s'occupent pas surtout autant de politique que les citoyens yankees. Et puis le préfet de Saône-et-Loire aurait-il bien autorisé la fondation d'un journal au milieu d'un groupe d'ouvriers ?

Ouvrier des houillères de Saône-et-Loire (piqueur)
La compagnie de Blanzy, comme celle du Creusot, fait des concessions de terrains et des avances aux ouvriers qui veulent se construire eux-mêmes leur demeure; enfin elle décerne chaque année un prix au logement le mieux tenu. Cette mesure a établi une grande émulation entre les divers ménages, et provoqué chez ces rudes mineurs le goût du confort, du bien-être, l'amour du foyer domestique que d'habitude nos ouvriers n'ont guère, bien différents en cela des ouvriers anglais et allemands.
Il est inutile de s'étendre davantage sur un sujet déjà abordé dans les chapitres précédents. Nous ne sommes point ici le coryphée des compagnies. Nous applaudissons à tout ce qui est louable, nous disons ce que nous avons rencontré de bien sur notre route; mais nous devons nous interdire les détails superflus, et surtout les redites.
A plus forte raison n'accepterions-nous pas le reproche d'être avec l'exploitant contre l'ouvrier, et de trouver que tout est pour le mieux dans les meilleures des mines possibles. Nous savons plus que personne, ayant dirigé nous-mêmes des mineurs, tout ce qu’il y a d'abnégation, de dévouement dans cette noble classe d'ouvriers. Nous savons que le mineur fait son devoir bravement, témérairement même, sans se plaindre, sans l'espoir d'aucun avancement, d'aucune récompense; nous savons que les compagnies, en embauchant le soldat de l'abîme, ne lui font pas espérer qu'il tient au bout de son pic son brevet d'ingénieur, comme le fantassin porte le bâton de maréchal dans sa giberne, ou le matelot son bâton d'amiral; mais l'amour de la vérité nous force à dire que si ce pionnier modeste, héros obscur, peut-être plus méritant encore que celui qui défend la patrie, fait si glorieusement son devoir, les compagnies font aussi le leur. Aucune d'elles n'a failli à sa mission, non seulement dans la Saône-et-Loire, mais dans toutes les autres mines françaises. On a vu de quels soins vigilants, paternels, les compagnies houillères entourent tous leurs ouvriers. Voilà ce que nous ne devons pas méconnaître, nous qui ne sommes ni avec les ouvriers contre les compagnies, ni avec les compagnies contre les ouvriers, et voilà ce que nous avons été heureux de proclamer, faisant à chacun la part qui lui convient.

 


III


LE BASSIN HOUILLER DE SAONE-ET-LOIRE.


Divisions du bassin et production totale. - Phénomènes géologiques. - Evolutions de la vie. ­Cataclysmes qui ont accompagné la formation carbonifère.
Créations dues à la houille. - L'armée des mineurs. - Les soldats et les chefs. - Rôle de l'industrie dans la société moderne.


Il faut maintenant revenir sur tout ce qui a été dit, et résumer, dans un coup d'œil d'ensemble, les différents spectacles auxquels nous avons successivement assisté. Après l'analyse, la synthèse.
Un bassin houiller a donné naissance aux diverses industries que nous avons fait tour à tour passer sous les yeux du lecteur: extractions souterraines, fabrication du verre, de l'huile minérale, de la fonte, du fer, des machines, cuisson de la chaux, du ciment, de l'argile, etc. Ce bassin, dont l'exploitation concourt ainsi à la prospérité de quelques-uns de nos départements du centre, est entièrement compris dans le département de Saône-et-Loire, et en a reçu le nom. Il se compose de trois îlots distincts à la surface, réunis peut-être en profondeur. Ces trois îlots sont, celui de l'Autunois, le plus vaste, mais non le plus productif; celui du Creusot, le plus restreint et proportionnellement le plus fertile; celui enfin qui longe le canal du Centre, et sur lequel sont distribuées du nord au sud, les mines de Saint-Berain, Longpendu, Montchanin, Blanzy et le Montceau, ces deux dernières les plus fécondes de tout le bassin.
La production totale du bassin de Saône-et-Loire peut être évaluée à un million de tonnes par an, soit un milliard de kilogrammes. C'est actuellement le douzième de la production totale de la France. Sur ce chiffre d'un million de tonnes, Blanzy et le Montceau concourent presque pour la moitié, soit 450 000 tonnes le Creusot pour 220 000, Épinac et le bassin d'Autun pour 170 000, Montchanin pour 110 000 et Saint-Berain pour 50 000 environ.
Le terrain houiller est essentiellement formé de roches grenues, grisâtres, les grès, et de roches noires, lustrées, feuilletées, les schistes. C'est entre les couches de grès et de schistes qui se prolongent régulièrement sous le sol à de grandes distances, et se succèdent les unes aux autres comme les feuillets d'un livre, qu'est interposée la houille. L'accumulation et la décomposition lente des plantes qui, à l'époque carbonifère, végétaient en ces régions, ont seules contribué à la formation du combustible. Le phénomène s'est passé il y a des milliers de siècles ; les géologues les supputeraient au besoin.
Au bord d'une vaste mer, qui s'étendait entre les montagnes porphyriques du Morvan et les cimes granitiques du Charollais déjà toutes deux soulevées, croissaient alors, en taillis touffus et -en hautes futaies, les calamites, les sigillaires, les lépidodendrons, les annulaires, les fougères arborescentes, végétaux dont l'abaissement de température du globe a depuis longtemps amené l'entière disparition, ou qui, réduits à de ,plus humbles formes, ont été presque tous reportés vers les contrées tropicales. Au milieu de ces espèces végétales on voyait aus8Ï quelques conifères, comme les walchias, ancêtres des pins et des sapins. Les cycadées, à leur tour, faisaient présager les palmiers. Au pied de tous ces arbres, des plantes aquatiques formaient comme un épais tapis, et par leur tissu feutré, tourbeux, préparaient les couches de houille, dont l'exploitation devait un jour venir en aide à la machine à vapeur, l'une des merveilles de notre époque.
La mer baignait partout la lisière de ces forêts antédiluviennes. Le terrain émergé n'était formé que d'îles, et dans les l'l'aux salines poussaient même quelques-unes des plantes houillères. Dans ces eaux vivaient aussi des êtres d'espèces aujourd'hui perdues, notamment ces poissons si différents des nôtres, mais que les maîtres de la paléontologie ont su reconstituer. Ce sera la gloire de M. Agassiz d'avoir en quelque sorte fait revivre ces poissons fossiles, comme celle de M. Ad. Brongniart d'avoir reconstitué et remis à leur véritable place toutes les plantes de l'époque houillère.

M. P...., ingénieur en chef de la mine de Montchanin, en tenue de travail.
On retrouve les vertèbres, les écailles, et même le corps tout entier des poissons de l'âge carbonifère, en empreintes moulées dans les schistes. Au milieu de ceux-ci se sont conservés jusqu'à des coprolithes, ou déjections pétrifiées de ces animaux fossiles. Nous avons dit, en parlant du bassin d'Autun, si riche en débris de celte sorte, qu'un saurien, l'Actinodon, avait même été retrouvé avec les poissons. Aucun de ces êtres éteints n'appartient à des mammifères; Je moment n'était pas encore venu pour les animaux supérieurs de faire leur apparition.
Quel sujet de réflexion pour le philosophe que cette succession, cette transformation de la vie sur le globe, cette série d'espèces qui vont sans cesse se modifiant, se perfectionnant, à travers les millénaires géologiques, des espèces les plus rudimentaires, les plus humbles, aux plus intelligentes, jusqu'à ce qu'enfin l'homme apparaisse, et la civilisation avec lui!
Le terrain houiller de Saône-et-Loire, déposé dans une anfractuosité marine, une sorte de baie marécageuse, qui était comprise entre les côtes porphyriques du Morvan et les granits du Charollais, ne s'appuie pas partout directement sur ces roches éruptives. Souvent, comme au Creusot, il repose sur la grauwacke (de l’allemand grauwacke, roche grise), roche bleuâtre, grisâtre, aux tons indécis, et qui a dû être fortement calcinée par le contact du granit, au temps des grands cataclysmes géologiques. Les lignes de stratification ont sensiblement disparu; les couches ont été soulevées presque verticalement, la roche est fendillée, et se divise en fragments irréguliers. On y retrouve, comme trace de la vie organique à l'époque où elle s'est déposée, quelques rares empreintes d'encrines, de la famille des coraux.
Dans ces âges lointains, qui sont contemporains de la première période de formation terrestre, le monde, encore dans l'enfantement, était agité de convulsions violentes, qui rompaient et disloquaient les conches, souvent même pendant leur formation, et jalonnaient, sur des méridiens entiers, des lignes de montagnes.

Ces effrayantes trépidations du sol, dont les tremblements de terre d'aujourd'hui ne peuvent donner qu'une très faible idée, ont continué pendant toute l'époque houillère, à des intervalles intermittents. Ce sont elles qui ont brisé, pétri, laminé les couches de houille encore pâteuses, et provoqué, dans les terrains à peine consolidés, des fractures et des crevasses; ce sont elles qui ont bouleversé des stratifications auparavant régulières, et fait émerger quelquefois, au milieu même des· bassins, des pitons de roches ignées qui ont rejeté au loin les strates. C'est ainsi qu'entre Autun et le Creusot, le terrain houiller a dû être soulevé, démembré et balayé par quelque déluge après son dépôt.
L'époque houillère finie, sont venues l'époque permienne, puis les époques triasique et jurassique.
Nous savons pourquoi on les a baptisées de ces noms. Les mineurs belges, qui font peu de géologie savante, mais beaucoup de géologie pratique, ont donné le nom pittoresque de morts-terrains ou terrains-morts aux formations supérieures au terrain houiller, parce qu'ils n'y rencontrent pas la houille. En retour ils appellent terrains d'adieu les terrains inférieurs au terrain houiller, ceux sur-lesquels s’appuie la formation carbonifère, parce que, passé ce niveau, il faut dire adieu au charbon, il n'y a plus d'espoir de le rencontrer. Ici, comme il arrive presque toujours, les expressions populaires ont le pas sur celles des savants : elles sont plus justes et surtout plus imagées.

Vue générale de la tuilerie et de la mine de Montchanin.

Vue de Montceau-les-Mines.

Les terrains permien, triasique et jurassique qui sont les morts-terrains du centre français, ont laissé tous les trois des traces nombreuses de leur passage au-dessus du bassin houiller de Saône-et-Loire. Les grès rouges appartenant aux deux premières époques, recouvrent presque complètement les grès et les schistes carbonifères, si bien qu'il y a probabilité, nous dirons même certitude, de rencontrer la houille au-dessous. Cependant aucun des sondages entrepris dans ce but n'a encore tout à fait réussi. Nous avons dit à quelle fatalité était dû l'insuccès de celui du Creusot. On a vu comment la recherche de l'inconnu, entreprise sur ce point avec une hardiesse et une persistance qui ne s'étaient jamais démenties, avait été soudainement arrêtée par un accident en apparence insignifiant, la rupture d'un outil au fond du trou de sonde ! C'est ainsi que les plus petites causes se mettent souvent en travers des entreprises de ce monde, qu'elles ruinent subitement.
Revenant du point de vue géologique au côté industriel de la question, nous voyons cette houille enfouie comme à dessein sous la roche, au temps où le globe naissait, et devenue roche elle-même, vivifier, féconder plusieurs départements, comme nous le disions tout à l'heure. Cette transformation s'opère non-seulement par la création d'industries diverses, et d'une usine de premier ordre, que tous les pays étrangers nous envient, mais encore par tout le mouvement auquel donne lieu la houille, matière encombrante, de grand poids et de faible valeur. La houille veut avoir à son service non seulement les routes de terre, mais encore les routes perfectionnées, les canaux, les chemins de fer, même les fleuves et les rivières, ces chemins qui marchent, comme les appelaient Rabelais et Pascal. Il faut aller le plus loin possible, et avec le moins de frais. Voyez les pays houillers, les pays noirs, ce sont de véritables Indes, au dire des Anglais, et les Anglais sont bons juges en pareille matière. Ne visitez même ces pays qu'en France et dans le district que nous avons choisi. Le Creusot, une ville plus peuplée que la plupart de nos chefs-lieux de département, Épinac, Montchanin, Blanzy, le Montceau, tous ces centres de population sont nés avec l'exploitation de la houille. Le diamant brut et opaque a fondé toutes ces villes, et son glorieux frère, le diamant cristallisé et limpide du Brésil ou de l'Inde, qui joue aussi en ce monde un rôle civilisateur, n'a pas de plus belles pages à nous montrer dans son histoire.
Et que dirons-nous maintenant des houilleurs ? De cette armée vaillante, aguerrie, qui brave sans murmure tous les périls ? De cette armée qui succombe, sans se plaindre, dans une lutte où l'ennemi est d'autant plus terrible qu'il est caché, et porte ses coups dans l'ombre, à l'improviste ?
Cette armée, nous l'avons vue à l'œuvre, sur son champ de bataille. Nous les avons suivis dans leurs noirs souterrains, ces fils vaillants et dévoués de sainte Barbe, et si nous n'avons pas raconté tous leurs combats, toutes leurs misères, nous n'en avons pas moins appelé l'attention, à plusieurs reprises, sur le rôle glorieux et élevé qu'ils remplissent.
Ainsi, d'une part, les miracles que produit l'industrie; de l'autre, la lutte incessante du travailleur contre les éléments, voilà ce que nous a offert ce voyage à travers le département de Saône-et-Loire. N'y a-t-il pas, dans ce genre de spectacle, une sorte de poésie ? Qui a dit que l'industrie desséchait le cœur, et n'avait rien que de prosaïque ? Comment tant de merveilles, qui s'accomplissent chaque jour sous nos yeux, n'ont-elles pas déjà ému davantage et l'écrivain et l'artiste ? Qui racontera, dans leur grandiose réalité, les travaux des mines et des usines ? Qui fera enfin l'épopée du travailleur ? Il n'est pas vrai que l'intérêt soit la seule cause qui a produit tout ce que nous avons vu. Nous savons même que le soldat de l'abîme est mû par un mobile encore plus élevé que le soldat des armées; pour lui, pas d'honneurs, pas de croix, pas d'avancements, et une paye toujours modeste; et cependant, invariablement fidèle à la discipline, il fait énergiquement son devoir. Unique soutien de sa famille, c'est pour gagner le pain quotidien qu'il expose à chaque instant sa vie. Mais son salaire le soutient à peine, et ce n'est pas par amour de l'argent qu'il brave de continuels dangers.
Les chefs n'ont pas toujours non plus le lucre seul pour objet. Cet ingénieur commande ses hommes, et se met à leur tête dans les moments de péril, comme un capitaine fait pour sa compagnie. Ce directeur, qui consacre ses journées et ses veilles à la conduite d'une immense entreprise, c'est le général qui combine et mène une opération, et de qui dépend tout le gain de la bataille. Souvent l'amour du pays guide autant cet homme, que vous appelez l'industriel, le manufacturier, que son intérêt propre, et il mérite bien de ses concitoyens en se consacrant tout entier à une grande affaire dont la réussite est utile à tous.
C'est sous de tels aspects que l'on aimerait à voir ceux: qui tiennent aujourd'hui en maîtres la plume ou le pinceau, représenter le travail industriel. Il y a autre chose dans l'industrie que cette femme allégorique que les classiques font éternellement poser sur une pile de ballots de coton, revêtue de la toge romaine, et ayant à ses pieds des roues d'engrenage, des ancres, ou des compas et des niveaux. Il ya dans l'industrie l'évolution de la société moderne, les luttes et les aspirations de notre époque tout entière, époque de travail et de progrès; il y a une porte toujours plus grande ouverte à l'égalité; il y a la matière domptée, assouplie, les agents physiques mieux connus, qu'on réduira peut-être à un seul; il y a la connaissance du grand tout qui se prépare, la science de l'avenir.
Tel est le côté par lequel il faut envisager le travail industriel et le rôle qu'il remplit à notre époque. Les arts utiles, comme on les a si bien nommés, sont non moins indispensables au bien-être et au développement des sociétés, que les beaux-arts; ceux-ci ne doivent pas proscrire ceux-là, mais leur tendre fraternellement la main.


IV


HISTOIRE DU CHARBON DE TERRE


Débuts des houillères de Saône-et-Loire. - Intérêt qu'offre l'histoire de la houille. - Le charbon de terre chez les Chinois, les Grecs, les Romains.
La houille en France et en Angleterre, au commencement des temps modernes. - La houille au dix-huitième et au dix-neuvième siècle.
Elle donne naissance à la machine à vapeur et aux chemins de fer. - Puissance créatrice de la houille. - Exemple pris au Creusot. - Moralité.


La première date certaine que l'on puisse citer pour l'exploitation des houillères dans le département de Saône-et-Loire, remonte au seizième siècle. A cette époque une première concession de mines est faite par l'État à divers demandeurs. Les mines en France étaient alors de droit régalien, c'est-à-dire que la couronne seule pouvait en disposer. Au dix-septième siècle cette concession passa en d'autres mains; nous avons vu ce qu'il en advint à la fin du dix-huitième siècle à propos du Creusot. Depuis, l'énorme surface concédée fut découpée en divers lots, et les concessions de Montchanin, Saint-Berain, Longpendu: Blanzy, etc., furent définitivement instituées. Les gîtes houillers de l'Autunois furent concédés à la même époque.
Cette première phase de l'exploitation marque les débuts des houillères de Saône-et-Loire. Il y a eu hésitation, tâtonnement, souvent abandon complet des mines, pendant plus de deux siècles, et tout d'un coup, il y a un siècle à peine, est venue la période de progrès et d'essor continu.
Toutes nos mines en France ont passé par des périodes analogues. Dans l'Aveyron on cite telle mine déjà connue au dixième siècle; dans la Loire telle autre mine sur laquelle les seigneurs féodaux levaient un cens dès le quatorzième siècle; et cependant ce n'est qu'à notre époque que toutes ces exploitations ont prospéré. En Angleterre, en Allemagne, les phénomènes d'évolution ont été aussi les mêmes.

Coupe transversale de la couche de houille du Montceau, entre les puits Maugrand et St-Pierre

Il ne sera peut-être pas hors de saison de reprendre ici l'histoire du charbon de terre, non-seulement pour le département de Saône-et-Loire, mais pour les houillères en général. Cette histoire est pleine d'enseignements, et les lecteurs du Tour du Monde la verront peut-être passer sous leurs yeux avec quelque intérêt. Assez souvent les auteurs se bornent à raconter leurs aventures et à se mettre au premier plan dans leurs impressions de voyage; il ne sera donc pas mal une fois de s'effacer, de porter le sujet à la hauteur où de lui-même il s'élève, et de laisser parler les faits.
L'histoire de la houille si l'on voulait la suivre pas à pas, comme les antiquaires suivent l'histoire des sociétés, commencerait avec celle du monde civilisé.
Les Chinois connaissent le charbon de terre de temps immémorial. Ils l'emploient notamment pour cuire la porcelaine. Dans certaines mines ils descendent sous le sol, avec la sonde, pour extraire le gaz combustible que les couches distillent, et s'en servent comme moyen de chauffage ou d'éclairage. Mais, en fait d'industrie, les Chinois sont toujours restés Chinois, c'est-à-dire qu'ils n'ont rien fait de hardi, qui témoigne sur une grande échelle des efforts du génie humain. Nous laisserons donc les Chinois en Chine, derrière leur grande muraille et leurs paravents, exploitant les mines depuis trois ou quatre mille ans, et nous passerons rapidement aux Grecs et aux Romains, pour arriver aux peuples modernes, où nous verrons l'extraction de la houille se développer dans les plus vastes proportions.
Les Grecs ont connu la houille. Le disciple favori d'Aristote, Théophraste, dans son Traité des pierres, cite le charbon fossile sous le nom de lithanthrax (charbon de pierre), que les Italiens ont conservé à la houille dans l'expression de litantrace. Quelques forgerons employaient le charbon minéral à défaut de bois; quelques industriels, quelques fondeurs en usaient également, surtout pour fondre le bronze; mais on n'en faisait pas une grande consommation.
Chez les Romains, l'extraction est plus restreinte encore. Dans les Gaules, à plusieurs reprises, les grands ingénieurs de Rome, dans leurs travaux hydrauliques, traversent des bassins houillers. Dans la Provence, en creusant le canal de Fréjus, ils recoupent le terrain carbonifère de l'Esterel; dans la Loire, en ouvrant l'aqueduc qui doit conduire à Lyon les eaux du Gier, ils trouvent de même des gisements de charbon. Mais les Romains ne s'en occupent nullement, ils ont le bois; la houille, pour eux, est sans aucune valeur : c'est une pierre plus ou moins charbonneuse et bitumineuse, voilà tout.

Coupe transversale du terrain houiller du Montceau par le puits Ste-Marie
Au moyen âge, on a pour le combustible fossile le même dédain que du temps des Grecs et des Romains. Dans les villes on le proscrit. Sous Henri II, en France, les maréchaux ferrants qui emploient à Paris du charbon de terre sont condamnés à l'amende ou à la prison. A Londres, il en est de même: défense d'employer du combustible fossile dans l'enceinte de la ville. On brûle du bois, mais du charbon de terre on ne vent à aucun prix.
Arrivons au dix-huitième siècle. Les choses changent. Déjà on apporte du charbon de terre à Paris. Le bois y coûtait très-cher comme aujourd'hui, et l'on cherchait des moyens économiques de chauffage. Des bateaux descendent la Seine jusqu'au port Saint-Paul, aujourd'hui quai de l'École, et apportent aux Parisiens le combustible minéral. Les Académies de médecine et des sciences sont consultées, et donnent, chose qui n'arrive pas toujours, un avis favorable au nouveau venu. Néanmoins le public repousse encore le charbon: on l'accuse de mille défauts imaginaires; on prétend qu'il vicie l'air, qu'il jaunit le linge dans les armoires, qu'il provoque des maladies de poitrine, et surtout, crime impardonnable, qu'il altère la fraîcheur des visages féminins.
Un siècle après, quels faits peut-on constater à Londres comme à Paris? A Londres, on consomme aujourd'hui six milliards de kilogrammes par an de combustible minéral; à Paris, un milliard. Le combustible fossile a conquis partout sa place, il est partout accepté.


Que s'était-il donc passé en Angleterre au dix-huitième siècle? Il s'était produit les deux plus grands phénomènes économiques que jamais peut-être les sociétés aient vus: l'invention de la machine à vapeur et l'invention des chemins de fer. C'est ici qu'éclate véritablement le rôle social du combustible fossile, et c'est ici que commence la véritable histoire du charbon, histoire que l'on peut raconter en peu de mots, et d'après laquelle on comprendra de suite le rôle glorieux en quelque sorte que remplit aujourd'hui le combustible minéral.
D'abord la houille a donné naissance à la machine à vapeur.
Il y avait, au commencement du dix-huitième siècle, dans le pays de Galles et dans le comté de Newcastle, des houillères assez largement exploitées. Ces houillères sont inondées, les pompes ne peuvent en extraire les eaux, quelle que soit la force qu'on emploie; les galeries sont descendues à deux cents, à trois cents mètres de profondeur; comment épuiser les eaux? C'est alors que trois ouvriers, Savery, Newcomen et Watt, se présentent successivement, et imaginent la pompe à feu, la machine à vapeur. D'abord la vapeur d'eau, par sa tension, pèsera sur le liquide et le fera monter; puis successivement, par des perfectionnements apportés à la machine, la vapeur d'eau agira sur un piston qu'elle fera mouvoir comme un piston de pompe; la tige de ce piston sera attachée à celle de la pompe à eau, et l'eau sera extraite des mines.
Voilà comment la machine à vapeur a été découverte. On a cité des noms d'inventeurs remontant jusqu'à l'école d'Alexandrie, par exemple Héron, qui a trouvé l'éolipyle; on a cité Papin. Mais l'éolipyle n'est qu'un appareil de physique amusante, et Papin n'a réellement mis en œuvre que le digesteur qui porte son nom, et qui n'est qu'une espèce de marmite où l'eau surchauffée dissout la gélatine des os. Il n'y a, en tout cela, rien à démêler avec la force motrice de la vapeur. Les véritables inventeurs de la machine à vapeur, de la pompe à feu, - nous avons regret de le dire, parce que ce sont des noms étrangers, mais il faut rendre à César ce qui appartient à César, - ce sont les trois Anglais que nous citions tout à l'heure: Savery, Newcomen et Watt.
Le jour où la machine à vapeur a été trouvée, l'esprit humain a fait un pas immense vers son émancipation. La machine à vapeur a remplacé le travail de l'esclave.
Elle s'est introduite dans toutes les usines, dans tous les ateliers, et aujourd'hui, si l'on examine avec attention ce qui se passe, on voit que la machine fait presque tous les travaux appelés naguère manuels: elle lime, elle polit, elle tourne, elle rabote le fer, l'acier, le bronze comme le bois. Il n'est rien qu'elle ne fasse. Elle agit pour ainsi dire comme une personne intelligente, et l'on en a vu dans les expositions plus d'un exemple remarquable.
On devine la grandeur de la conquête ! C'est l'émancipation intellectuelle de l'ouvrier. L'œil et la tête restent libres ainsi que la main; l'ouvrier est près de sa machine; c'est la machine qui travaille, qui est l’esclave. On dirait qu'Aristote avait lui-même prévu ce fait, lorsqu'il écrivait qu' «il n'y aurait plus d'esclaves le jour où le fuseau et la navette marcheraient seuls. » Eh bien, aujourd'hui, le fuseau et la navette marchent seuls, et c'est probablement à cela que nous devrons peu à peu l'abolition de l'esclavage dans toutes les colonies. N'oublions pas que ce jour-là, c'est la machine à vapeur, et par conséquent un morceau de charbon, qui auront amené ce grand phénomène social. Honneur donc au charbon de terre!

Maître mineur des houillères de Saône-et-Loire (mines du Montceau)
Mais la conquête ne s'est pas bornée là. Il ne s'agit pas seulement d'extraire le charbon des mines, et de tenir les travaux à sec, de remonter à la fois les eaux et la pierre; il faut encore transporter le minéral, et le minéral est lourd, encombrant et de peu de valeur. Il faut donc le voiturer à peu de frais et aussi loin que possible, afin d'augmenter les débouchés et la consommation. C'est ici que l'on voit naître l'invention des chemins de fer comme tout à l'heure on a vu l'invention de la machine à vapeur sortir du fond des mines de houille.
Dans le pays de Galles, dans ces houillères où la machine à vapeur est née, on cherche un moyen économique de transporter la houille; on imagine d'établir dans les galeries des rails de bois sur lesquels les wagons roulent avec facilité. Par ce moyen le prix de transport diminue en même temps que la quantité des charges augmente. Mais bientôt le bois se pourrit, et alors on remplace les rails de bois par des ornières de fonte, d'abord creuses. Celles-ci sont bien vite obstruées par la boue, et l'on y substitue des ornières à rebord, enfin des ornières plates. Ce jour-là le rail est trouvé, et avec lui le rail-way, c'est-à-dire le chemin de fer. Mais sur ces chemins de fer les voitures à vapeur ne roulent pas encore. Ce sont toujours des charrettes traînées par des chevaux, et c'est alors que de nouveaux chercheurs se mettent à l'œuvre.
Émule de Savery, de Newcomen et de Watt, le Gallois Trewithick imagine de lancer une voiture à vapeur sur les rails. Afin de maintenir l'adhérence, sans laquelle les roues ne marcheraient pas, il a l'idée d'armer de dents la roue motrice de la voiture à vapeur, ainsi que le rail: c'est une roue dentée qui se déroule sur une crémaillère. La voiture marche moins vite qu'une charrette sur une route boueuse.

Est-ce à dire que l'invention va se perdre? Loin de là. Immédiatement nous voyons apparaître un Anglais George Stephenson, le père du grand ingénieur Robert, et à côté de lui un Français que l'on peut citer avec orgueil, Marc Seguin, parent des Montgolfier, chargé aujourd'hui de gloire et d'années.


Marc Seguin et George Stephenson inventent, tous deux à la fois, la locomotive. Marc Seguin imagine les tubes qui entourent l'eau et dans lesquels circulent les gaz venant du foyer. Ces tubes, par leur développement, donnent une immense étendue à la surface chauffée. On peut ainsi, dans un temps donné, vaporiser une grande quantité d'eau, et obtenir la vitesse voulue pour marcher sur les chemins de fer. Mais il faut qu'une autre invention complète celle-ci. Ces tubes, par leur nombre et leur petit diamètre, pourraient arrêter net, dans la chaudière, le tirage de la cheminée. Alors arrive George Stephenson qui, en lançant dans la cheminée le jet de vapeur qui a agi sur le piston, ravive, par cet ingénieux artifice, le tirage du foyer gêné par l'invention de Seguin.
Dès ce moment la découverte est complète, la locomotive est fixée de tous points. Comme Watt a arrêté définitivement les dispositions de la machine à vapeur, George Stephenson et Marc Seguin arrêtent définitivement celles de la locomotive. La locomotive ! C’est elle qui fait tomber une à une les barrières naturelles ou fictives que les nations ont élevées entre elles; c'est elle qui fusionne toutes les races, et qui fait disparaître les inimitiés de peuple à peuple. Si jamais la guerre disparaît, et il faut bien espérer que nous en arriverons à ce grand résultat, bien que le jour ne soit pas prochain; si jamais la guerre disparaît, c'est à. la loco motive que nous le devrons, et ce jour-là il faudra la couronner de fleurs et exécuter autour d'elle la ronde des peuples, en chantant ces vers du poète national:
   Peuples, formons une sainte alliance,
   Et donnons-nous la main!

Pierre Lhôte et le père Garnier, maîtres mineurs d'Epinac

N'oublions pas que c'est encore au charbon de terre que nous devrons ce grand fait social, et appuyons-nous de ces exemples pour montrer que l'histoire de la houille a droit désormais d'entrer dans l'histoire des sociétés.
« Tout cela est bien, direz-vous; mais nous voilà loin des houillères françaises. » Aussi bien faut-il y revenir, et, serrant la question de près, montrer chez nous par des exemples la puissance créatrice de la houille. En France, le charbon n'a pas seulement donné naissance au Creusot; il a fait, dans le bassin de la Loire et du Rhône, les établissements de Terre-Noire, Saint-Chamond, Rive de Gier, Givors, la Voulte, le Pouzin; dans l'Allier, ceux de Commentry, Montluçon et Fourchambault; dans l'Aveyron, ceux d'Aubin et de Decazeville; dans le Nord, ceux d'Anzin et de Denain. Parallèlement à l'extraction du charbon s'est partout développée l'extraction du minerai de fer, si bien que la production de la France en fer est double aujourd'hui de ce qu'elle était il y a dix ans.
Les premiers chemins de fer, en France comme partout, ont été ouverts pour le transport des houilles. Les houillères ont été reconnaissantes, et elles sont aujourd'hui, avec les voyageurs, le plus fructueux et le plus certain élément de transport des votes ferrées. A leur tour les voies ferrées ont consommé, pour le service des locomotives et des machines fixes des gares et de leurs ateliers, une bonne quantité de combustible, le dixième de ce que la France fournit annuellement.
La navigation à vapeur, comme les chemins de fer, a dû chez nous son principal développement à la production toujours plus grande de la houille.
L'agriculture elle-même, sur certains points, s'est transformée et a fait les plus étonnants progrès, grâce à l'industrie houillère. Beaucoup de personnes croient que le voisinage des mines est forcément nuisible aux travaux agricoles. Il n'en est pas généralement ainsi. Dans le Nord, la culture des plantes oléagineuses et de la betterave s'est développée par suite du voisinage des houillères, qui ont fourni le combustible indispensable aux presses et aux appareils distillatoires. Dans la Sarthe, la Mayenne, la Vendée, les houillères ont donné le charbon propre à la cuisson de la chaux, qui a servi d'amendement aux terres et les a régénérées. Dans les houillères de Saône-et-Loire, nous constatons les mêmes faits. « Avant le développement des mines, nous dit M. A. Burat, (Situation de l’industrie houillère en 1859 – Paris, Lacroix et Baudry, 1860.) l’agriculture y manquait à la fois d'argent pour améliorer un sol généralement médiocre, et de débouchés pour ses produits, la culture du seigle et des pommes de terre était presque la seule. Aujourd'hui les sommes versées dans le pays par l'exploitation houillère ont fourni les moyens d'amélioration du sol; l'augmentation progressive de la population a ouvert les débouchés. Les terres, sous l'influence du travail ainsi secondé, ont plus que triplé de valeur; le chaulage, facilité par le bas prix des houilles menues, a transformé le sol à tel point, que la culture du froment est devenue presque générale. Cet historique est celui de toutes les contrées où l'industrie des houillères s'est développée depuis trente ans. »

Empreinte de fougère fossile sur un schiste houiller des mines du Montceau

Ce ne sont pas là les seuls avantages procurés à l'agriculteur par l'exploitation de la houille; on sait que la culture de la vigne est une des principales de notre pays. Or, au Creusot, une population vigoureuse, bien rétribuée pour le dur travail qu'elle exerce, consomme plus de trente mille hectolitres de vin par an. Dans plusieurs de nos grands centres industriels, Commentry par exemple, on relève des chiffres analogues. Et là ne se bornent pas encore les services que la houille semble destinée à rendre à la terre. L'agriculture ne peut plus progresser aujourd'hui que par l'emploi des machines, c'est-à-dire par le combustible. Ces machines sont avant tout les locomobiles pour le battage et le nettoyage des grains, et les machines à faucher et à labourer, que les Anglais et les Américains, grands producteurs de charbon, ont imaginées et employées avant nous.
Faut-il citer un des derniers exemples de la puissance créatrice de la houille, en nommant Saint-Étienne, qui ne renfermait pas plus de vingt mille habitants au commencement de ce siècle, qui en renferme aujourd'hui cent mille, et qui a justement ravi à Montbrison le titre de chef-lieu du département de la Loire ? On peut nommer aussi l'arrondissement de Valenciennes dont la population a doublé, grâce à la houille, en moins de quatre-vingts ans, et atteint aujourd'hui quatre-vingt mille âmes. Pour arriver à un tel résultat, la loi normale d'accroissement de population eût exigé en France près d'un siècle et demi.
Mais quel exemple plus curieux peut-on citer pour démontrer le pouvoir fécondant de la houille, que celui du Creusot, dont les chiffres de population et de fabrication doublent tous les dix ans? N'est-ce pas là la preuve la plus palpable, la démonstration la plus mathématique de l'influence des exploitations houillères sur la richesse et le développement des populations ?

Empreinte de plante fossile sur un schiste houiller des mines du Montceau

Résumons-nous, Aussi bien ce n'est pas ici le lieu de traiter in extenso toutes ces questions; nous n'avons voulu que rendre honneur au travail industriel, contre lequel existent encore trop de préventions mal fondées. En prenant, pour plaider notre cause, un coin de notre vieille Bourgogne, où l'industrie houillère et métallurgique est venue si favorablement se mêler à l'agriculture, sans que l'une ait jamais détruit l'autre, nous avons choisi le point au hasard; le tableau eût été le même, on le sait, à Saint-Étienne ou à la Grand'Combe. Différentes circonstances nous ont par deux fois amené dans la Saône-et-Loire en 1865, et nous avons vu là les éléments d'un récit qui pouvait être à: la fois nouveau et intéressant pour les lecteurs du Tour du Monde. A part quelques exceptions, les voyageurs les ont jusqu’'ici promenés bien loin de l'horizon national. Et cependant notre pays est encore ce que nous connaissons le moins. Les Parisiens qui, chaque été, courent pérégriner au loin sous prétexte de villégiature, ignorent les magnifiques horizons de Paris. On pourrait leur appliquer justement le mot fameux de Socrate à ses disciples, en les invitant à commencer par se connaître eux-mêmes.
Pour nous, si dans les pages qui précèdent, et mû par les considérations que nous venons de présenter, nous avons pu jeter quelque intérêt dans notre récit, nous savons que c'est au choix du sujet qu'en reviendra tout le mérite. La seule chose que puisse revendiquer l'auteur, est l'essai qu'il a voulu faire d'élever par quelques considérations générales une question qui touche à l'intérêt général; mais cet essai est-il heureux, et la moralité dans les fables, comme dans les récits de voyages, n'est-elle pas ce qu'on lit le moins ?

Texte publié dans LE TOUR DU MONDE - XV - 378e LIV. - 1867 - Les gravures sont celles qui accompagnaient le texte d'origine


Louis Laurent SIMONIN (1830-1886)
Ancien élève de l'Ecole des Mines de Saint-Etienne (sorti en 1852).
Né à Marseille.
Il occupe diverses positions dans des mines en Italie et en France. Il voyage beaucoup aux Etats-Unis et dans divers autres pays.
Il écrit divers ouvrages dont "La vie souterraine : Les mines et les mineurs" (1867) qui aurait inspiré le livre "Germinal" de Emile Zola. Il raconte son "Voyage à l'île de la Réunion" (1861), son "Voyage aux mines de Cornouailles" (1862), "Une excursion dans les quartiers pauvres de Londres" (1862), "Les grands ports de commerce de la France" (1878), et divers voyages aux USA, concernant notamment la ruée vers l'or en Californie, et l'Histoire de l'exploitation des mines de Toscane (1858)
Il fut titulaire de la chaire de géologie de l'École spéciale d'architecture.

(d'après http://annales.org/archives/x/simonin.html)