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                      " Patronage et                  paternalisme " chez les Schneider Patronage et paternalisme : la          question sémantique se pose. Pour Gérard Noiriel, qui a          posé la question, il faut distinguer entre patronage et          paternalisme. Il invite à distinguer deux types de          rapports d’ouvriers à patron qui se substituent          l’un à l’autre, la rupture chronologique se          situant à la fin du XIXe siècle, dans les années          1880-1890. Pour lui le premier système mis en place par          les patrons de la grande industrie naissante, en          particulier dans l’industrie lourde, doit prendre le          nom de patronage. Ce terme est celui qu’utilise          Frédéric Le Play. Dans ce cas, l’action du patron          est acceptée par les ouvriers et s’inscrit dans le          cadre de rapports sociaux traditionnels du monde rural          avec la domination des notables. Le paternalisme est un          système plus abouti, plus complexe, où la population          est davantage encadrée et où l’autorité du patron          est plus brutale, la contestation de sa domination étant          plus fréquente. Cette évolution se fait sous la          contrainte des transformations économiques, techniques          et politiques : la concurrence mondiale, les          innovations techniques, l’installation de la          République et l’apparition du syndicalisme.          Cependant, selon lui, dans le patronage comme dans le          paternalisme il y a un fond commun : c’est la          question de la main d’œuvre qui, au début de          l’industrialisation comme à la fin du XIXe siècle,          est rare, surtout lorsqu’elle est qualifiée. Il          s’agit, par ces pratiques, de la stabiliser et de la          conserver. Il faudrait ajouter, comme éléments          d’explication du paternalisme, en liaison avec cette          question de la main-d’œuvre rare, un double          souci : d’abord, celui de mettre en place une          société sans lutte de classes reposant sur les bases          cordiales (aujourd’hui on dirait consensuelles).          C’est un thème abondamment développé par Le Play          (les conflits et les grèves sont nuisibles aux          affaires) ; ensuite, il s’agit de travailler à          l’amélioration morale et matérielle des ouvriers.          Les arrières pensées économiques et sociales sont          intimement mêlées dans cette question. Au total, entre efficacité économique          et utopie morale, il s’agit par le paternalisme de          retenir les ouvriers dans une communauté imprégnée par          le modèle familial (la famille comme modèle et base de          l’organisation sociale) pour les rendre plus          efficaces au travail (les stabiliser, les moraliser). Ce          paternalisme passe par le contrôle de l’espace          local (une politique de l’urbanisme, de          l’équipement collectif, de la propriété          ouvrière) et du temps des hommes (le travail à          l’usine, les loisirs organisés, le jardin ouvrier).          Il contient donc des côtés positifs (un système social          intégré avec ses écoles, ses services          d’assistance et de soin...) et d’autres plus          négatifs (la mise en place d’un système          " totalitaire " avant la lettre avec          l’idéal de " forger " un homme          " sain "). [Voir Chantal GEORGEL,          " L’économie sociale au Creusot :          patronage ou paternalisme ", catalogue de          l’exposition, p. 318-331 ; Gérard          NOIRIEL, " du patronage au paternalisme :          la restructuration des formes de domination de la          main-d’œuvre ouvrière dans l’industrie          métallurgique française, Le Mouvement social,          n° 144, 1988 ; Jean-Michel GAILLARD,          " Les beaux jours du paternalisme ", L’Histoire,          n° 195, janvier 1996, p. 48-53.] Le système tel qu’il fonctionne          au Creusot à la fin du XIXe siècle et entre les deux          guerres repose sur quelques bases et quelques principes          simples. – Instruire et soignerDès l’origine, les Schneider construisent des          écoles et ce qui va devenir un hôpital          (l’infirmerie se transforme en hôpital puis en          Hôtel-Dieu en 1894). Le système scolaire a un triple          but : fournir une main-d’œuvre de          meilleure qualité, donner une éducation morale, par la          suite faire naître un esprit maison. Plus globalement se          met en place un système de protection sociale avec une          caisse de secours et d’épargne (constituée de dons          patronaux et une retenue obligatoire sur les salaires de          2 %). Elle finance les soins, l’école, le          quotidien en cas d’accident du travail, en cas de          problème... Il existe un véritable système de retraite          par épargne qui reste en place jusqu’en 1910 quand          l’État prend le relais (loi sur les retraites          ouvrières et paysannes).
 – LogerSuccessivement, trois types de pratiques ont été          utilisées dans ce domaine essentiel pour fixer la          main-d’œuvre (voir ci-dessus) : Les          " casernes " sont le premier type de          logement, hérité de la période antérieure. Peu          nombreuses et assez vite abandonnées parce que les          avantages qu’on pensait en tirer (la naissance          d’un esprit de classe favorable au travail chez des          ruraux à la mentalité individualiste) ont très vite          été dépassés par les inconvénients (la promiscuité          et ses mauvais effets). Des cités ouvrières composées          de maisons individuelles avec jardin ont ensuite été          construite. Enfin la pratique des terrains vendus aux          ouvriers avec l’incitation à la construction          (organisation de prêts) s’est généralisée.
 Au début, la dimension rurale, avec l’existence          d’un jardin ou de champs qui apportent un revenu          complémentaire, est encore importante dans une cité qui          est peu peuplée (2500 hab. en 1836) et qui constitue un          îlot industriel en pleine campagne. Mais le jardin          n’est jamais abandonné parce qu’il remplit          plusieurs fonctions : il apporte une subsistance          complémentaire et indispensable, il offre un travail          dérivatif de celui de l’usine et surtout il retient          l’ouvrier à la maison et l’empêche de passer          son temps et de dépenser son argent au café. La          dimension morale est essentielle.
 Il y a les exclus du système. En particulier les          manœuvres, les célibataires, et, à la fin du          siècle, la population d’origine étrangère pour          lesquels subsiste un habitat sommaire.
 – MoraliserLe souci moral est constant chez ces patrons qui          comptent sur les effets régulateurs de la religion          catholique. Il s’agit pour eux à la fois d’une          question de stabilité sociale du groupe et          d’efficacité au travail. La suppression des cafés          et des cabarets (lieux de développement de          l’alcoolisme et de propagation des idées          socialistes), la disparition progressive des          logements-caserne, l’existence du jardin ouvrier,          l’encouragement du travail ménager des femmes et la          création d’une image de la cellule familiale          idéale participent de ce désir de moralisation.
 Le foyer doit être propre et la maison entretenue. La          femme de l’ouvrier est préparée, dans les écoles          ménagères et à l’église, à remplir son rôle de          gardienne de la moralité de la famille. Elle doit par          son travail domestique, par sa discipline quotidienne,          gérer au mieux les moyens disponibles dans le          ménage : elle doit faire en sorte que l’homme          préfère son foyer au café. Il existe des          " commissaires enquêteurs du bureau de          bienfaisance " qui font des tournées          régulières et qui notent " l’apparence          du ménage ". Ils sont en particulier chargés          de rapports sur les logements en location.
 En dehors du foyer, la vie collective est          encadrée : existence d’associations sportives,          de fanfares, de cercles pour les cadres. Des fêtes          locales, généralement organisées à la gloire de la          famille Schneider ont lieu régulièrement (on les          préfère aux fêtes " nationales ",          le 14 juillet étant ostensiblement boudé par ces          patrons conservateurs). Derrière ce projets, il y a la          volonté de disposer d’ouvriers efficaces, mais          aussi de régénérer des êtres humains jugés un peu          frustres : il y a l’idée de former un homme          nouveau.
 On a, au total, un modèle assis          sur le travail, la religion la famille. La famille          et le lien familial sont exaltés à tout moment :          la famille de l’ouvrier, l’entreprise,          présentée comme une famille dont le patron est le père          et dont le personnel sont les enfants, la famille          Schneider. Celle-ci est sans cesse posée en modèle,          honorée dans un véritable culte de la famille patronale          et de son chef, le patron, et ses aïeux. La religion          catholique, présente à l’école jusqu’aux          lois de laïcisation, est également présente dans la          vie quotidienne puisqu’elle rythme la vie des          ouvriers du baptême à la mort. Plusieurs églises ont          été construites au Creusot par les Schneider et il          était " mal vu " de ne pas les          fréquenter. Au centre du système il y a l’épargne          (prêts de l’usine aux candidats, système          d’épargne automatique) : le propos est          d’exalter le travail et l’argent durement          gagné, est d’apprendre la prévoyance. Ce contrôle de l’individu du          berceau à la tombe, ce souci de créer une société à          l’abri de l’extérieur, à l’abri du          contrôle administratif de l’État (les Schneider          possèdent une garde personnelle qui fait la police dans          la ville, ce qui provoque parfois des tensions avec le          préfet), de l’influence des idées socialistes est          frappant : on peut quasiment parler d’un          système totalitaire. Il s’agit de susciter un          esprit de groupe, par une uniformisation des esprits, un          esprit de corps, en suscitant une fierté exclusive. On a          parlé de soumission de l’individu à          l’entreprise, de " nouvelle          féodalité " : le pouvoir absolu          d’un homme sur les hommes vivant sur son territoire,          un territoire un peu en marge des règles communes. Il          faut constater que le système a été assez efficace          pour éviter longtemps les progrès du socialisme et du          syndicalisme. Toutefois le Creusot a connu quelques          grandes vagues de grèves (1870, 1899) qui ont été à          l’origine du durcissement du paternalisme :          l’accroissement du contrôle sur tous les secteurs          de l’activité des ouvriers et sur tous les moments          de leur vie.   |