La cristallerie de la Reine Marie-Antoinette
Sous le règne de Louis XVI, l'aristocratie et la bourgeoisie avaient un penchant très marqué, de l'engouement même, pour les cristaux, lustres, flambeaux, services de tables. etc ... Tous ces objets étaient d'importation anglaise et la fabrication du cristal en France était presque inconnue.
Louis XVI, cherchant à faire produire à l'industrie nationale tous les objets importés, créa une Cristallerie, sous le patronage de la reine Marie-Antoinette. La direction en fut confiée à MM. Lambert et Boyer, d'Autun, et la fabrique installée à Sèvres.
Mais les directeurs s'aperçurent bientôt que, pour rivaliser avec les cristaux anglais, il était nécessaire que la Cristallerie fût placée à proximité d'un centre leur procurant le combustible à un prix plus bas qu'à Paris. Après de sérieuses études faites sur place, ils décidèrent de transférer leur Cristallerie au Creusot.
Et, dès 1785, la construction du nouvel établissement était commencée.
On peut se demander pourquoi fut choisie la houillère de Montcenis plutôt qu'une autre pour l'installation de la Cristallerie de la Reine.
Pour plusieurs raisons. La première, c'est que la mine du Creusot était connue en haut lieu pour avoir du charbon excellent qui alimentait déjà la Fonderie Royale, c'est ensuite, parce qu'il y avait, dans le voisinage immédiat, des carrières de sable convenant parfaitement pour l'emploi envisagé (La rue de la Sablière conduisait à ces carrières situées sur la place de la Molette).
A ces causes, il faut en ajouter une autre : le bon minerai de plomb qu'on trouvait aussi dans les environs, à Saint-Prix-sous-Beuvray, et qui fut utilisé dans la fabrication des cristaux.
Un extrait du « Journal de Paris », du 13 mars 1808, donne d'intéressantes précisions sur les motifs qui amenèrent la création d'une cristallerie au Creusot. C'est une lettre de M. Lambert, un des directeurs :
Sèvres, ce 11 mars 1808.
« En 1782, étant parvenu, après de nombreuses expériences, à découvrir la composition du cristal et les procédés nécessaires pour le manufacturer en grand, je m'associai le sieur Boyer. J'eus ensuite recours aux bontés dont m'honorait le père du dernier duc d'Orléans, protecteur éclairé des établissements utiles, il m'abandonna, dans le Parc de Saint-Cloud, près de Sèvres, une maison et un emplacement sur lequel j'établis la première et la seule manufacture de cristaux qui existât en France et qui se servît de charbon de terre comme combustible.
« Nous ne tardâmes pas à nous apercevoir que les verriers français que nous voulions employer ne connaissaient point la manière de travailler la matière du flint-glass (Flint-glass : de flint = silex et glass = verre, cristal). Ses propriétés réfringentes sont bien connues et il est utilisé, de ce fait, dans la construction des appareils d'optique et d'astronomie.). Nous nous déterminâmes à tout hasarder pour nous procurer des ouvriers anglais et ce fut avec une peine infinie que nous parvînmes à engager plusieurs ouvriers à passer en France. Notre interprète fut arrêté et n'échappa au supplice qu'en se « coupant le col » dans la prison.
« Le succès de notre établissement attira bientôt l'attention de l'ambassadeur anglais à Paris. Son secrétaire entretenait nos ouvriers dans un état de débauche qui les détournait du travail, et qui dura jusqu'au moment où le gouvernement français d'alors eut la faiblesse de céder aux demandes et aux instances réitérées du gouvernement anglais et fit livrer à son ambassadeur les ouvriers qui nous avaient coûté tant de sacrifices. Il est vrai que nous obtînmes un délai de trois mois; nous employâmes ce délai à former des élèves. Il nous fallut encore faire beaucoup de sacrifices, parce que les Anglais se refusaient absolument à travailler devant les Français.
« Lorsque la Reine acheta Saint-Cloud, mon établissement prit le nom de « Manufacture de Cristaux de la Reine ». Elle le protégea.
« Cependant, l'importance que le gouvernement anglais mit, par son ambassadeur, à troubler notre établissement, fixa l'attention du gouvernement français. Nous fûmes encouragés et, en 1785, le Roi prit un intérêt de 150 000 francs dans notre manufacture et il y eut une association entre nous et les intéressés aux Etablissements des Fonderies de Montcenis (Creusot) et d'Indret, aux fins d'établir une manufacture de cristaux en très grand audit Montcenis. Ensuite de ces arrangements, je fus au Montcenis; j'y établis en grand la manufacture; je la plaçai sur des mines de charbon de terre; je dirigeai et donnai tous les plans des bâtiments que je fis exécuter sur ceux que j'avais vus en Angleterre, ainsi que les creusets recouverts dont je m'étais déjà servi à Saint-Cloud.
« Enfin, les avantages du nouvel établissement sur celui que je quittai près de Paris furent immenses, tant par la différence de cherté du charbon de terre que par l'assiduité des ouvriers au travail et le gouvernement ordonna par l'arrêt du Conseil du Roi du 18 février 1787, que la Manufacture de Cristaux de la Reine, établie à Sèvres, près de Saint-Cloud, serait transférée au Montcenis ... ».
LAMBERT,
Propriétaire de la Manufacture d'émaux à Sèvres
Dans les « Mémoires de la Société Eduenne » (Tome XXII, page 260. Note. Sur la Cristallerie. Mémoire. du Docteur Claude-Bernard-Edme Guyton (Archives de M. Harold de Foutenay), il existe un passage intéressant au sujet de la construction du nouvel établissement.
« Des montagnes autrefois inaccessibles s'y aplanissent chaque jour et font place à des établissements curieux et intéressants; pendant que l'on fouille dans le sein de cette mine d'une qualité supérieure qui doit mettre en activité des machines de toutes espèces, on voit cette montagne couverte de fourneaux, de pompes et de machines à feu", Rien n'a été ménagé pour l'élégance, la solidité des divers ouvrages, et il est difficile que la munificence de Louis XVI se manifeste avec plus d'éclat et d'utilité: la célérité avec laquelle ce monument s'élève fera époque dans l'histoire de son règne. La verrerie, située sur une éminence, domine les bâtiments des pompes à feu ; un corps de logis, dans lequel on compte déjà cent quatre-vingt-seize croisées, sera habité par les directeurs et ouvriers destinés aux travaux de la verrerie. Vis-à-vis les deux extrémités de ce vaste bâtiment, on remarque deux cônes de figure parallèle qui s'élèvent à la hauteur de quatre-vingt pieds sur trente-cinq de diamètre à leur base, leur maçonnerie très solide est construite en briques rouges, à la manière des Romains. La base de ces pyramides forme deux halles superbes, dans chacune desquelles sont les fourneaux destinés pour la fonte des matières vitrifiables ... Quatre voûtes d'un travail hardi, placées à l'extrémité inférieure des cônes, sont disposées de manière à fournir un libre espace aux ouvriers , Il y a encore d'autres bâtiments pour la construction des pots et vases de toutes espèces »
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Cristallerie de la reine Marie-Antoinette |
Mais à cette date (Aout 1786), la Manufacture des cristaux de la Reine fonctionnait toujours à Sèvres : le décret de transfert n'est que du 18 février 1787, en voici les extraits principaux :
« Arrêt du Conseil d'Etat du Roi, qui ordonne la translation de la Manufacture des cristaux de la Reine, établie à Sèvres près Saint-Cloud, au Creuzot près Montcenis en Bourgogne
Du 18 février 1787. Extraits des registres du Conseil d'Etat. - Le Roi s'étant fait représenter les différents arrêts rendus en son conseil relativement à la manufacture des cristaux de la Reine, située au village de Sèvres, près Saint-Cloud, Sa Majesté a reconnu qu'il serait plus avantageux pour cet établissement d'être transféré au Creuzot, près Montcenis, en Bourgogne, attendu que les matières premières nécessaires pour alimenter ladite manufacture se trouvant sur le lieu, ce sera un moyen de porter cette manufacture digne à tous égards de la protection de Sa Majesté, au plus haut degré de perfection dont elle est susceptible, A quoi voulant parvenir: ouï le rapport du sieur de Calonne, conseiller ordinaire au conseil royal, contrôleur général des finances, le roi étant en son conseil, a ordonné et ordonne que ladite manufacture des cristaux de la Reine, établie au village de Sèvres, près Saint-Cloud, sera très incessamment installée audit lieu du Creuzot, près Moncenis, sur une partie de l'emplacement des mines et fonderies à la manière anglaise, situées audit lieu du Creuzot ;
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et qu'en conséquence, il sera procédé sans délai à la construction des fours, halles, magasins et autres bâtiments (Nous venons de voir que la construction de la Cristallerie était déjà bien avancée au moment où le décret était pris) nécessaires à l'exploitation de ladite Manufacture des Cristaux de la Reine, laquelle sera administrée comme ladite fonderie royale du Creuzot et jouira des mêmes privilèges, prérogatives et exemptions, à la charge en outre qu'iI ne pourra être employé aux fabrications qui auront lieu dans ladite Manufacture des Cristaux de la Reine, d'autre charbon de terre que celui de la mine concédée aux intéressés dans les fonderies royales du Creuzot; mande et ordonne Sa Majesté au sieur intendant et commissaire départi pour l'exécution de ses ordres dans la province de Bourgogne de tenir la main à l'exécution du présent arrêt, lui attribuant à cet effet Sa Majesté toute cour ,juridiction et connaissance, et icelles interdisant à ses cours et autres juges. Fait au Conseil d'Etat du Roi. Sa Majesté y étant, tenu à Versailles le dix-huit février mil sept cent quatre-vingt-sept. Signé: Le Baron de Breteuil ». |
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Malheureusement, aucun document ne permet de fixer la date de l'ouverture de la Cristallerie. Toutefois, par divers recoupements, notamment par le dénombrement de la population du 27 janvier 1787, on peut affirmer que la Cristallerie fonctionne ou est sur le point de fonctionner à cette date, car, parmi les professions relevées dans ce dénombrement figurent 202 ouvriers de la Verrerie.
En tout cas, il est sûr qu'elle fonctionnait en 1788, car un « Guide de Paris» de cette année-là (Etat actuel de Paris ou Le Provincial à Paris, 1788) indique que les verres de table des Verreries Royales de Creusot, ainsi que ceux de la Manufacture de Sainte-Anne et de Baccarat, étaient en vente au n° 10 de la rue Plâtrière (Aujourd'hui rue J.-J.-Rousseau. dans le quartier Saint-Eustache.).
D'autre part, un acte du 8 avril 1789, assez curieux en lui-même, mérite d'être cité en partie. Il prouve que les directeurs de la Cristallerie, entendant travailler tranquillement, ont envoyé promener, tout simplement, l'inspecteur chargé de se rendre compte de la marche de l'affaire :
« Lazare Bonnardot, notaire royal, Eléonore Montcharmont, procureur, Lazare Pelet, chapelier et Benoît Gravier, cordonnier, demeurant tous à Montcenis se transportent ledit jour au hameau du Creuzot, lieudit établissement de la Manufacture des Cristaux de la Reine, paroisse de Moncenis ... sur les réquisitions du sieur Jean-Henry de Gazeran, inspecteur-contrôleur de ladite manufacture ... lequel sieur de Gazeran a remontré que, par comité du 19 mars dernier, MM, les commissaires du roy et intéressés à l'exploitation de ladite manufacture des cristaux de la Reine, l'ont nommé inspecteur et contrôleur d'icelle à raison de la fabrication tant de goubleterie que du verre de table. pour recevoir et contrôler les objets de fabrication et cognoître les mattières qui y sont employées, demander au sieur Lambert les détails indispensables pour toutes opérations, consulter les livres du garde-magasin, juger les prix des matières premières, joindre aux prix d'icelles celuy de la fabrication, et enfin mettre l'administration et les sieurs intéressés en état de juger si cette fabrication est avantageuse et profitable ... » (Etude de Me Devoucoux, notaire, au Creusot).
Le sieur Gazeran avait déjà, la veille, fait la même démarche et s'était vu refuser de façon catégorique toutes communications. Cette fois, il ne fut pas plus heureux et M. Lambert lui fit dire « qu'il n'avait rien à répondre, ni à signer».
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En 1789, la Cristallerie est en plein fonctionnement ce qui est confirmé par l'histoire ci-dessous :
Nommé à l'évêché d'Autun, Talleyrand, aussitôt après avoir prêté, le 19 mars 1789, les deux serments rituels, l'un à la porte du Palais épiscopal, le second sur le parvis de la Cathédrale Saint-Lazare, s'apprêta à quitter la ville après avoir cependant célébré, le 25 mars, la grand'messe où, d'ailleurs, il montra sa complète inexpérience du cérémonial.
Le 12 avril, jour de Pâques, il demanda son carrosse et partit pour Paris sans prendre congé de ses diocésains qui ne le reverront plus, pressé qu'il était de se faire élire député du Clergé aux Etats Généraux.
Un détail corrobore cette hâte (et en même temps le fonctionnement de la Cristallerie). En 1909, Mgr Villard, évêque d'Autun, fit déballer des caisses abandonnées dans un coin de l'évêché. Qu'y trouva-t-on? Un service en cristal taillé, deux carafes et 67 verres qui constituaient le présent offert « à son nouvel évêque par la Cristallerie de la Reine, au Creusot, près de Montcenis, en Bourgogne ».
Talleyrand en avait certainement toujours ignoré l'envoi. Ces précieux spécimens de l'art du verrier au Creusot se trouvaient au Musée de la Verrerie, au début de la dernière guerre. Ils ont été anéantis au cours des bombardements aériens.
Grâce à l'habileté et à la science de ses dirigeants, sans oublier la valeur professionnelle de la main-d'œuvre, la Cristallerie de la Reine surclassa rapidement les produits anglais, même sur les marchés étrangers.
En 1795, le directeur de la Cristallerie est Jacques Chapet. Jacques Chapet est né à Coulomb (Eure-et-Loir), le 1 er avril 1754. Il reçut, en 1774, le diplôme de maîtres ès-arts de la Faculté de Paris et entra dans la Congrégation de l'Oratoire. En 1776, il était professeur au Collège de Montbrison; il le fut ensuite à Tournon. C'est de là que Louis XVI le nomma précepteur de ses enfants. Il enseigna enfin au Collège des Oratoriens, à Autun.
Le R.P. Chapet dota la Cristallerie de deux inventions importantes. La première fut l'usage du Flint-Glass, dont le pouvoir réfringent est précieux pour la fabrication des instruments d'optique et d'astronomie: il en découvrit la formule, déjà connue, mais gardée jalousement par les Anglais. |
La seconde découverte due à son génie inventif fut un procédé d'incrustation sur verre (A l'Exposition d'art ancien qui s'ouvrit à Dijon, en juillet 1920, les médaillons incrustés de la Cristallerie du Creusot qu'on y avait exposés furent, selon M. Fyot, très remarqués. A une exposition, au Creusot, en 1954, de très belles pièces provenant du Château de la Verrerie et de collections particulières retinrent également l'attention des connaisseurs.).
Jean Sébastien Eugène Julia de Fontenelle, dans son « Manuel complet du fabricant de verre et de cristal » (1829) rapporte :
« Les incrustations de portraits et autres objets en pâte, en émail et même en verre à teinte blanche, devaient éveiller naturellement l’attention de nos artistes. Il ne s’agissait que de composer un mélange de terres choisies, dont la retraite à la cuisson pût être à peu près égale à celle du verre qui devait les envelopper. C’est ce que tenta avec succès, avant 1810, M. Ladomppe du Fougerais, alors entrepreneur de la belle manufacture de cristaux sise à Mont-Cenis près le Creusot (département de Saône-et-Loire). De cet établissement sont sortis les portraits enchâssés dans le verre, qui ont donné lieu à une industrie nouvelle. Plusieurs procédés concourent à la confection de ces produits, celui de la goutte et celui par aspiration, comme celui par application. Il serait trop long de les décrire. »
« Depuis que M. du Fougerais a émis dans le commerce ses ingénieuses médailles, d’autres artistes se sont placés sur les rangs … »
On conserve encore précieusement et avec orgueil, dans certaines vieilles familles du pays, des services et des pièces en cristal de Creusot.
« Et, dit M. Courtois, si les Vieux Creusot n'ont pas encore dans les collections une place à côté des Vieux Sèvres, du moins sont-ils déjà recherchés comme un des premiers et des plus précieux produits de la cristallerie nationale » (Dans une vente aux enchères, à Champvans (Jura), des incrustations en cristal du Creusot atteignirent, en 1938, des prix élevés, bien que quelques initiés seulement en aient connu la valeur réelle). |
Grand médaillon en cristal taillé à fond rayonnant centré d'un cristallo cérame au profil de Marie-Antoinette. Anneau en bronze doré à décor de feuillages et rosaces. Premier tiers du XIXe siècle. Haut. : 14,2 cm - Larg. : 11,5 cm. Estimé 400€ à 500€, il a été vendu aux enchères 3200€ début 2010 |
Mais la Cristallerie a beaucoup à souffrir des suites de la Révolution. Ses affaires périclitent et la situation financière devient critique.
La Société est bientôt acculée à la faillite.
Une affiche de l'époque, datée du 12 mai 1802, annonce la vente pour le 19 juin. Les Petites Affiches de Paris le font en ces termes : « Différentes manufactures et usines importantes, sises dans la vallée du Creuzot et environs, entre Chalon et Autun, département de Saône-et-Loire ... à affermer en totalité ou en partie, pour le 1 er messidor, savoir : la fonderie proprement dite et ses dépendances; les laminoirs de Mévrin et leurs dépendances; la forge de Bouvier et ses dépendances; la verrerie ou manufacture de cristaux et ses dépendances. S'adresser, tous les jours, dans la matinée jusqu'à une heure, à l'administration des Etablissements du Creuzot, rue Faubourg Poissonnière, 22, pour prendre connaissance du cahier des charges ».
Soit qu'il n'y ait pas eu d'acquéreur, soit que les affaires aient repris un peu d'activité, cette vente n'eut pas lieu et la Cristallerie continua de fonctionner.
Aubin-Louis Millin, membre de l'Institut, qui visita la Cristallerie à cette époque, a consigné ses impressions dans un rapport dont sont tirées ces lignes :
« Nous entrâmes au Creusot vers midi. Nous y fûmes reçus par M. Chapet qui dirige particulièrement la verrerie ... et eut la bonté de nous conduire dans les ateliers ...
« Les ouvriers finissent le samedi leur travail à midi. L'heure était passée. Il n'y avait plus auprès du fourneau qu'un petit garçon qui s’occupait, dans ce moment de repos, à faire des anneaux de verre bleu, ornés d'une raie blanche. Il avait une certaine quantité de petites baguettes aplaties, de couleur bleue, ayant au milieu une raie blanche. Il exposait d'abord sa baguette au feu pour la ramollir, puis il la reployait sur un bâton de fer conique et rejoignait les deux bouts. En frappant légèrement sur la baguette, il faisait prendre à l'anneau la forme qu'il devait avoir; l'endroit de la soudure des deux bouts formait le nœud. La douzaine de ces anneaux se vend quatre sous.
« M. Chapet engagea un maître-verrier, qu'on regardait comme le plus habile, à faire quelques pièces en notre présence. Heureusement qu'il y avait encore un reste de matière en fusion dans l'un des creusets ...
« ... Le maître-verrier fit devant nous une aiguière d'une forme extrêmement élégante, et une carafe à rafraîchir. Cette dernière pièce exige beaucoup de dextérité, parce qu'il faut appliquer dans l'intérieur un petit globe propre à contenir la glace. Il façonna le globe par inspiration et le plaça avant de diminuer le cou de sa pièce.
« Ce maître-verrier est d'une si grande habileté, qu'il fait vingt à trente pièces de suite de la même grandeur, sans avoir besoin de mesure, et même lorsqu'elles sont aussi compliquées que l'aiguière, à laquelle il faut revenir bien des fois pour y ajouter l'anse, la base, etc ... Le corps se déjetait quelquefois pendant qu'on y appliquait un accessoire, de sorte qu'il y avait toujours à corriger.
« Le magasin de la Verrerie est à Paris, rue de Bondi. :»
(Voyages dans les départements du Midi de la France, par Aubin·Louis Millin)
Malgré la sage direction du Père Chapet et l'habileté de ses collaborateurs, les administrateurs du Creusot sont contraints de mettre une seconde fois les établissements en vente, en 1813.
Cette fois encore, ils ne trouvent pas d'acquéreurs et la liquidation ne se fit définitivement qu'en 1818.
C'est M. Chagot, principal créancier, qui achète toutes les actions, le 8 mai 1818.
En 1823, M. Chagot obtient pour ses travaux une médaille d'or et est autorisé à donner à son établissement le titre de « Manufacture Royale ».
A sa mort, ce sont ses fils qui continuent l'exploitation de l'entreprise.
Un article paru à cette date dans le Journal de Saône-et-Loire (22 août 1828), décrit la Cristallerie à cette époque :
« La Cristallerie occupe trois cent cinquante ouvriers ... Elle fut la première manufacture de cristaux où l’on travailla à la manière anglaise. C’est-à-dire à pots couverts chauffés par le charbon de terre. Cet établissement, monté sur une grande échelle, présente dans son ensemble tous les ateliers nécessaires à son roulement, à la préparation et à la purification de ses matières premières. Cinq fours, contenant chacun dix pots de fonte d'une capacité moyenne de 500 kilos, permettent à cette cristallerie de se mettre toujours au niveau des besoins du commerce,
« Il existe en outre:
- une briqueterie où l’on prépare les terres réfractaires pour la composition des fours de verrerie ... ;
- une poterie où Ion fabrique tous les creusets de fusion nécessaires à l’établissement ... ;
- un grand atelier destiné à la fabrication du minium, d'après un procédé qui assure la qualité constante de ce produit, ce vaste atelier peut suffire à la consommation de deux cristalleries aussi importantes que celle du Creusot; il est mû par une machine à feu de la force de six chevaux; ce n'est que depuis 1811 que cette fabrication a été montée au Creusot ... ;
- un laboratoire dans lequel on purifie les potasses et où se mélangent les matières qui entrent dans la composition du cristal, telles que le sable, la potasse et le minium (Le chimiste était :M. Ackermann, ingénieur distingué, qui ne tarda pas à s'éloigner du Creusot pour toujours et qui mourut à Paris, vers 1874)… ;
- de vastes ateliers de taille dans lesquels sont montés trois cents tours employés à la taille des cristaux …;
- un atelier de taille par procédé anglais: cet atelier contient dix-huit tours complets, qui sont mus par une machine à feu de la force de quatre chevaux
« L'ensemble de la manufacture royale de cristaux de Montcenis comprend en outre tous les autres ateliers de détail. tels que forge, serrurerie, ajustage, menuiserie, etc ... , etc ... En un mot, cet établissement occupe en ce moment trois cent cinquante ouvriers de tous genres, tous logés dans cette manufacture ».
Emmanuel Le Gouy, qui visita la Cristallerie en 1800, décrit pour sa part le travail des ouvriers :
« La Cristallerie consiste en un beau bâtiment se développant sur un périmètre de 220 mètres, autour d'une cour carrée et de deux tours cylindriques d'environ 60 pieds de haut et de plus de 150 pieds de circonférence à la base, situées dans le milieu de la cour; c'est dans l'une de ces tours que se font tous les différents vases de cristal et dans les bâtiments de la cour qu'ils se façonnent.
« Le milieu de la tour que je vis est un four énorme qui peut avoir 16 pieds de haut et le reste de la tour jusqu'en haut fait la cheminée; ce four est entouré d'une galerie spacieuse où travaillent les ouvriers, qui ont chacun devant soi une gueule de four. Il y a deux entrées au four réservées pour l'entretien du four, par lesquelles on entre le charbon de terre qui maintient le feu toujours au même degré de chaleur. Dans des creusets posés au-dessus de chaque gueule du four pour le service des ouvriers, est la matière vitreuse dont la composition est le secret de l'entrepreneur. C'est une pâte molle semblable à un charbon ardent ou à un fer rouge, Cette matière se refroidit environ deux minutes après la sortie du four et, aussitôt froide, elle est transparente et diaphane; enfin, c'est du cristal.
« Pour la travailler, les ouvriers sont obligés de la remettre au four en plusieurs fois, parce qu’elle se refroidit trop vite; mais elle est encore longtemps à rougir. Les ouvriers la prennent en puisant dans le creuset, par une ouverture faite à la gueule du four, avec une canne en fer percée d'outre en outre et à laquelle elle s'attache en boules informes; ils la roulent alors sur une table en fer pour l'arrondir; ils soufflent par l'autre bout de la canne pour enfler la matière; ou bien ils ne soufflent (pas) si l'objet qu'ils doivent faire ne doit pas être creux.
« Ils s'asseyent ensuite sur un banc qui a deux bras de fer fort avancés, sur lesquels ils posent la canne à laquelle adhère la matière rouge et, roulant la canne avec la main gauche sur les bras du banc qui sont fort unis, la matière qui est au bout de la canne garde parfaitement son centre et cela fait l'effet d'un « tour à tourner ». Tandis qu'ils la roulent de la main gauche, ils se servent de la main droite, d'un outil de fer en forme de pinceau, avec lequel ils lui donnent la forme qu'ils veulent, Ils ont encore de gros ciseaux pour couper le cristal quand il est encore rouge. Lorsque le vase est façonné, on le porte dans une pelle en fer sur un plancher de tôle pour être cuit et toute la façon est faite.
« On ne brûle dans ce four que du charbon de terre; le feu ne doit jamais s'arrêter et les ouvriers se relaient pour travailler la nuit. La chaleur y est insupportable. Les ouvriers sont toujours en sueur et je n'y ai remarqué que des jeunes gens tous maigres et desséchés.
« Après dîner, nous allâmes voir les ouvriers qui taillaient les cristaux, Ils se servent de meules de fer avec du sable fin dans de l'eau, On polit ensuite les tailles avec des meules de pierre ponce dans de l'eau et enfin avec des meules de liège.
« Nous vîmes les graveurs, dont l'un était occupé à graver des cachets de cristal que j'avais achetés. Ces graveurs ne se servent que de meules de cuivre extrêmement petites. Je vis des gobelets gravés avec des guirlandes de roses qui étaient faites à la perfection... ».
MM. Chagot frères possèdent, en même temps que la Cristallerie, des intérêts dans les Fonderies et la ruine de celles-ci, amène l'arrêt de celle-là.
Elle est vendue, le 19 juin 1833, à la Société de Baccarat et de Saint-Louis, pour le prix de 120.000 francs, avec stipulation expresse qu'on ne fabriquerait plus, pendant cinquante ans, de verre ou de cristal au Creusot.
Le matériel est dispersé. Une partie est transportée à Baccarat et à Saint-Louis. Le reste est acquis par les Verreries de Blanzy et d'Epinac.
Toutefois, les bâtiments demeurèrent. Ils furent achetés par MM. Schneider Frères, par acte du 9 mai 1837, pour le prix de 77.217 francs.
Telle fut la fin de cette manufacture de cristaux qui eut son heure de célébrité.
Il n'en reste aujourd'hui que les bâtiments principaux, ancienne résidence de la famille Schneider, devenus Ecomusé et siège de la Communauté Urbaine, ainsi que les deux tours coniques servant de fours qui ont été restaurées dans leur aspect primitif.
Quelques noms aussi rappellent cette époque : la rue de la Sablière, la rue de la Verrerie et le Château de la Verrerie.
Outre le charbon qui fut utilisé par la Cristallerie pour ses fabrications, Le Creusot et ses environs fournirent la majeure partie des produits nécessaires.
Au début, le sable était amené de la région de Fontainebleau. Plus tard, ce fut le sable des carrières de la place de la Molette.
La potasse était achetée en Amérique. Pendant la guerre avec l'Angleterre, on la tira de toutes sortes de produits.
Une lettre adressée à l'agent du district d'Autun, le 31 octobre 1794, indique qu'on la tirait des marcs de raisin:
« Les entrepreneurs de la Verrerie du Creuzot, demandent que nous les autorisions à acheter, dans l'arrondissement de ton district, cent tonnes de marcs de raisin, afin de pouvoir suppléer au salin et à la potasse qui leur manquent pour les travaux de cette verrerie. Les marcs de raisin sont en réquisition générale pour le service de notre administration, mais la Verrerie du Creuzot est un établissement de la plus grande importance, le seul de son genre en France et auquel d'ailleurs le gouvernement a toujours accordé des facilités. Tu voudras bien en conséquence lever la réquisition jusqu'à concurrence de cent tonneaux sur les marcs de raisin que les administrateurs des établissements de Montcenis te justifieront avoir achetés pour le service de la Verrerie dont il s'agit
Quant au minium, au début, il fut fabriqué avec les minerais des mines de plomb de Saint-Prix, abandonnées par leur propriétaire, M. Martin, procureur du Roy, aux administrateurs du Creusot.
Toutefois, ces minerais ne furent pas employés longtemps, car Millin écrit, en 1807: « Le minium n'est pas fabriqué au Creusot, dans la Maison. On le fait venir de Paris ... »
Ce n'est qu'en 1811 qu'on en reprit la fabrication
Quant à la terre réfractaire, Millin nous dit que « la terre dont on fait les briques des fourneaux se tire à dix lieues du Creusot, au Montet, près de Palinges ». Et c'est à Perreuil que Louis Raimbaud, architecte de la Fonderie Royale, avait ordonné la construction d'un four à briques.
C'est là également que, quelque cinquante ans plus tard, MM. Schneider et Cie installent leur grande usine de produits réfractaires.
Le grès pour les meules utilisées à la taille des cristaux était extrait à la Croix-Brenot et les meules étaient taillées sur place.
L'Ecomusée du Creusot présente une collection de pièces en cristal datant de l'époque de la Cristallerie de la Reine. Cependant, sauf pour de très rares exceptions, aucun document ne permet d’attribuer avec certitude l’origine des pièces. La collection de cristaux de l’écomusée illustre la variété et l’évolution des modèles et des tailles de la période « Empire » à « Restauration ». Ces pièces illustrent les qualités attribuées à l’époque aux cristaux du Creusot, comme la qualité de taille et le poids. La collection comprend aussi des pièces de cristal avec inclusions, des cristaux d’opale et des modèles produits par Baccarat et Saint-Louis à partir des années 1830 après le rachat du Creusot.
(d'après H. Chazelle et JB. JANNOT - Une grande ville industrielle Le Creusot - 1958)
La cristallerie
d'après Wikipedia
Le cristal est un type de verre riche en plomb (jusqu'à 40 % de la masse et plus et au moins 24 % d'oxyde de plomb PbO doit avoir été ajouté au verre). Le plomb abaisse fortement le point de fusion, tout en stabilisant la composition du « verre ».
Il rend le verre plus éclatant tout en lui conférant une très légère teinte jaunâtre. De plus, le verre est alors plus agréable à couper et à travailler, mais avec plus de risques environnementaux et sanitaires (le plomb est un métal très toxique).
Le terme est trompeur, car il s'agit d'un matériau amorphe ; ce n'est donc pas un cristal au sens physique du mot.
Caractéristiques
Sa haute teneur en plomb a pour effet de :
- abaisser sa température de travail
- augmenter sa période de malléabilité
- favoriser la taille et le polissage à froid
- augmenter son éclat par accroissement de son indice de réfraction
- le rendre opaque aux rayons X (utile pour les fenêtres de protection radiologique)
Fabrication du cristal
Né en Angleterre au XVIIe siècle, le cristal est apparu grâce à un nouveau composant ajouté au verre : l'oxyde de plomb. Cet apport confère à la matière une brillance, un éclat et un son bien précis que l'on reconnaît immédiatement.
Il existe trois grands types de décors :
- la taille
- le matage
- la gravure
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La taille
Ce procédé offre des possibilités multiples (taille biseau, taille diamant, taille mate, etc.) grâce à divers types de meules, chacune correspondant à une forme d’entaille. Le cristal est donc finement incisé, sillonné, creusé sur différentes épaisseurs.
À cette étape de l’ornement, l’article est dit « taillé mat ». Pour obtenir une « taille lisse », c’est-à-dire un rendu brillant, il est à nouveau poli. L’immersion dans un bain d’acide ou le polissage mécanique lui redonne tout son éclat.
Le matage
Pour opacifier le cristal, le maître cristallier a recours au matage, également appelé satinage. Ce traitement par dépolissage consiste à enlever son aspect lisse et brillant au cristal sur une ou plusieurs parties, les autres étant protégées par un cache pour rester claires et transparentes. Le cristal est donc lustré par attaque chimique ou par sablage. Enfin, l’article est nettoyé par brossage.
La gravure
Le motif – monogramme ou arabesque – est obtenu par attaque du cristal : soit par un acide, soit par un laser.
Dans le premier cas, l’article est plongé dans un bain d’acide. Le décor est creusé sur le cristal par la morsure du liquide tandis que les parties dites "en réserve", préalablement protégées, demeurent intactes.
Dans le second, les ornements sont dessinés au laser, donc brûlés, marqués avec précision par un faisceau lumineux très fin mais de forte intensité, au travers d'une lentille. En 1976, la gravure au laser en 3D (ou en relief), récemment mise au point, permit de graver mécaniquement le cristal.
Le soufflage du verre est la technique qui permet de donner du volume aux objets en verre lors de leurs créations.
Le souffleur commence par cueiller (et non cueillir) une paraison (masse de verre) dans le four à pot à l'aide de sa canne. Il en régularise la masse au marbre (surface plate).
D'un souffle bref (pour éviter le reflux d'air chaud) et en bouchant aussitôt l'orifice de son doigt, il fait naître une bulle due à la dilatation de l'air au contact du verre chaud.
Ensuite il a recours a la technique du souffle continu pour atteindre le volume souhaité.
Entre-temps d'autres opérations peuvent avoir lieu :
- le réchauffage à la gueule du four pour améliorer la maléabilité ;
- le centrifugeage horizontal au banc pour élargir la pièce ;
- le centrifugeage vertical pour l'allonger ;
- la régularisation de la surface à l'aide d'une mailloche (cuiller en bois mouillé) voire d'une mouillette (simple papier journal plié et trempé dans l'eau.)
La pièce est alors soudée à l'autre extrémité à un pontil (sorte de canne pleine) et séparée de la canne par le refroidissement du contour du col à l'aide d'un instrument mouillé suivi d'un léger choc.
Après réchauffement, le col peut ensuite être allongé ou évasé tandis que d'autres éléments tels qu'une anse peuvent être soudés.
Après séparation du pontil, la pièce est déposée dans l'arche (= four) à temporiser, ou arche de recuisson, où elle refroidira au bout de plusieurs heures afin d'éviter tout choc thermique qui la fragiliserait. |
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Artisan souffleur |
Création d'une forme |
Ciseaux à couper le verre |
Finition et gravage à la meule |
Finition à la meule |
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