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Une dynastie - Réussite technique et économique - Le paternalisme en action - Aménager l'espace - Un empire industriel - Les grèves - La chute - Ce qu'il reste aujourd'hui 

Les Schneider : la réussite technique et économique

Le site du Creusot est le cœur d’une entreprise industrielle de première importance, l’industrie métallurgique la plus puissante de France de la veille de la Première Guerre mondiale à 1940 et l’une des plus puissantes industries sidérurgiques et métallurgiques d’Europe. Le plan de l’usine permet de lire la variété des activités menées sur le site, l’intégration verticale de l’activité industrielle et la progressive conquête de l’espace par les installations industrielles qui témoignent de l’expansion de la société et de ses mutations successives. La société Schneider a connu une forte croissance à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle et le Creusot est toujours resté au centre de l’outil industriel alors que le site souffrait de plusieurs handicaps : un relatif isolement (il est à l’écart des axes de communication comme l’axe PLM) et la médiocre qualité des ressources naturelles locales (charbon et surtout fer à faible teneur). Une bonne partie de la stratégie industrielle des Schneider a consisté à chercher (et à trouver) des solutions compensatoires pour maintenir la société au sommet jusque dans les années 1950.

Ceci étant, Le Creusot n’est que l’élément central d’un ensemble industriel beaucoup plus vaste avec des installations à proximité (en Sâone-et-Loire et dans les départements voisins), ailleurs en France ou dans le monde. [Voir Claude BEAUD, " L’innovation dans les établissements (1837-1960) ", catalogue de l’exposition, p. 204-233. et Alain DEWERPE, " Travailler chez Schneider ", catalogue de l’exposition, p. 176-203.]

Les constats
Une puissance industrielle inscrite dans l’espace du Creusot

On rencontre sur le site du Creusot une grande variété d’activités qui témoignent de l’histoire de l’entreprise, " un système d’usines " qui en fait un exemple type d’industrie intégrée verticalement. Depuis les hauts fourneaux jusqu’à la construction mécanique, toutes les étapes de l’industrie métallurgique sont présentes les cokeries et hauts-fourneaux, la forge, des ateliers de construction mécanique spécialisés (construction de matériel ferroviaire, construction d’armes). Aux constructions liées aux activités de type industriel s’ajoutent les bâtiments administratifs et les bureaux d’études, ceux de la direction qui occupent symboliquement une place centrale dans l’espace.

En réalité, l’intégration verticale de la société n’est pas complètement lisible sur le site du Creusot qui comporte essentiellement des activités de transformation. Il faut ajouter, en amont, les mines. Les Schneider possèdent les mines de charbon de Montchanin et de Longpendu (71), de La Machine (58), de Montaud-Saint-Etienne (42), les mines de fer de Mazenay (71). Les minerais locaux étant de pauvre qualité (faible teneur en fer et présence de phosphore), à la fin du XIXe siècle, les matières premières viennent d’ailleurs : d’Allevard dans l’Isère et de Saint-Georges-d’Hurtières en Savoie mais aussi de l’étranger, d’Algérie et de l’île d’Elbe. En aval, les Schneider possèdent d’autres ateliers de construction mécanique, et en particulier de construction navale. Avant 1914, ils possèdent des usines à Chalon-sur-Saône (" le Petit Creusot "), à Droitaumont en Lorraine, à Champagne-sur-Seine dans la Région parisienne et diverses installations dans les régions côtières, à Bordeaux, Le Havre, Sète, Lalonde-les-Maures. A la fin du XIXe siècle et entre les deux guerres, les Schneider prennent des participations dans des sociétés de différentes régions du monde (en Russie, en Amérique du Sud, au Maroc) ce qui fait naître un véritable groupe industriel multinational.

Les explications
Une adaptation constante aux mutations techniques, économiques et politiques

Le succès des Schneider et la pérennité de leur entreprise (pendant plus d’un siècle elle reste l’une des entreprises françaises les plus puissantes de son secteur) s’explique par leur capacité d’adaptation et leur faculté à surmonter les handicaps du site. A chaque époque, l’innovation technique, une gestion rationnelle de la production et la conquête de nouveaux marchés ont permis à l’entreprise de se maintenir en position dominante.

Il est possible de distinguer plusieurs périodes dans l’histoire de la société :

Eugène Schneider et la première révolution industrielle

Pendant la première phase de l’essor industriel du Creusot, il est intéressant de constater qu’Adolphe puis Eugène Schneider réussissent, après le rachat de 1837, là où leurs prédécesseurs avaient échoué. Ces derniers avaient pourtant mis en place une industrie moderne (fonte au coke, procédé Wilkinson). La principale raison de la réussite des Schneider tient au changement de conjoncture. Alors que le manque de demande pour les produits nouveaux avait expliqué l’échec des entreprises précédentes, l’intervention des Schneider a lieu à un moment où la tendance s’inverse : la demande intérieure est stimulée par la révolution ferroviaire, le développement de la navigation à vapeur, le développement généralisé de l’usage des charpentes métalliques. La donnée conjoncturelle est importante pour comprendre ce premier essor. Cette demande intérieure se développe dans un cadre politique favorable puisque, jusqu’en 1860, le régime protectionniste offre aux maîtres de forge français un marché réservé, ce qui ne les empêche pas de se lancer à la conquête de marchés étrangers. Dans ces conditions, les investissements importants réalisés sur place par les Schneider leur permettent de mettre en œuvre des innovations décisives.

Les deux innovations techniques décisives de cette première période sont la locomotive (en 1838, La Gironde est la première locomotive française) et le marteau-pilon (1841) qui permet de forger des pièces importantes. Le grand ingénieur associé à cette invention est François Bourdon. Si les Schneider ne sont pas des ingénieurs, ils ont toujours accordé une place décisive aux ingénieurs. Cette collaboration, qui durera pendant tout le règne des Schneider, commence dès l’origine. La spécialité des Schneider, ce qui fait leur réputation à cette date est le chemin de fer. La qualité de leurs produits et les avancées techniques leur permettent d’affronter sans crainte la concurrence dans l’Europe entière. L’une de leurs plus grande victoire est la vente de locomotives au Royaume-Uni (commande de 15 locomotives par la Great Eastern Railway Company en 1865). Cependant il faut remarquer qu’ils ne s’emparent pas immédiatement de tous les progrès techniques. Ils ne passent pas tout de suite du fer puddlé à l’acier. Le premier four Martin n’est installé au Creusot qu’en 1867 (et il ne fonctionne qu’à titre expérimental) soit plus de trois ans après son invention.

1870-1914 : La compétition avec l’Allemagne

La défaite de la France et la montée en puissance de l’Allemagne, le souci de la reconstruction et la perspective d’une revanche, placent l’industrie métallurgique française dans une position-clef. Par une décision politique (de Thiers), les Schneider sont invités à participer à l’effort patriotique : c’est Schneider contre Krupp. C’est le début du développement de l’industrie d’armement au Creusot qui se juxtapose aux activités ferroviaires. Pendant cette période, les Schneider deviennent les premiers marchands d’armes du monde.

La demande militaire a des implications techniques considérables. Elle stimule la recherche et elle est à l’origine de l’évolution des installations du Creusot. C’est l’amélioration de la qualité des aciers avec l’installation d’une aciérie Martin moderne et la substitution des minerais de fer des Alpes, d’Algérie ou de l’île d’Elbe aux minerais locaux, l’introduction en 1880 du procédé Thomas de déphosphoration des minerais, la mise en place d’un outillage de plus en plus sophistiqué capable de travailler des pièces de plus en plus volumineuses (1876 : marteau-pilon de 100 t., 1885 : première presse hydraulique Whitworth de 6000 t.), le développement de la recherche sur les aciers spéciaux, avec le rôle important joué par les ingénieurs Osmond et Werth  qui mettent au point des aciers recuits et trempés, des aciers au nickel qui obtiennent des prix dans les concours internationaux (à La Spezia en 1876 ou à Annapolis en 1890) et qui font la réputation des blindages Schneider et des tôles de marine. C’est l’époque de la mise au point d’armes de plus en plus sophistiquées dont le symbole est le fameux canon de 75. Mais il faudrait évoquer les blindages de plus en plus résistants, les obus et les torpilles automobiles à gyroscope par exemple, les cuirassés, torpilleurs et contre-torpilleurs, sous-marins fabriqués à Chalon-sur-Saône ou à Bordeaux. La " course aux armements " n’est évidemment pas simplement une question de quantité d’armements mais bien une question de qualité de la production.

Le développement de l’industrie d’armement est dû non seulement aux commandes d’État mais aussi largement à l’essor du commerce international. La loi de 1885, obtenue par la pression du comité des forges, permet la libéralisation de la vente des armements. Les Schneider mettent en place un réseau international de commerce (en 1898, 60 % des productions militaires sont exportées elles représentent 80 % des exportations de la société). Le développement de ce secteur a pour conséquence l’élargissement de la société qui prend des participations dans un certain nombre d’entreprises nationales ou internationales. Les Schneider se constituent un important portefeuille financier qui est l’embryon d’une holding qui s’épanouira entre les deux guerres (acquisition de la Société française d’optique et de mécanique de haute précision en 1913, prise de participation dans les usines Poutilov en Russie, accords avec des sociétés minières et métallurgiques au Chili).

Mais les Schneider ne développent pas uniquement le secteur de l’armement. Cette période est la grande période des charpentes métalliques et ils deviennent des spécialistes des gares et des ponts (1897, pont Alexandre III ; 1869, gare d’Orléans à Paris ; 1896, gare de Santiago du Chili). Mais l’entreprise la plus symboliques dans ce domaine, et la plus ambitieuse, est le projet de construction d’un pont sur la Manche reliant la France et l’Angleterre (projet né en 1884 avec la fondation de la Channel Bridge and Railway Company limited ; développement d’étude et exposition d’une maquette à l’exposition universelle de 1889 ; abandon du projet en 1895 au moment de Fachoda).

1914-1960 : Les Schneider et les défis industriels du XXe siècle

Le principal problème pour les Schneider a été de faire face à ce qu’on a appelé la " deuxième révolution industrielle ". La puissance de la société, la diversification de ses activités lui permettait sans doute d’affronter les mutations techniques. Mais les dirigeants et les ingénieurs de la société se sont efforcés d’accompagner les mutations. Si un certain nombre de tentatives de diversification de l’activité ont échoué en France, comme par exemple la création d’une industrie automobile ou d’une industrie aéronautique, le principal succès de la société Schneider est le développement d’un important secteur d’industries électriques. Ce développement est antérieur à la Première Guerre mondiale (1900, première locomotive électrique) mais son essor date de l’entre-deux-guerres après la signature d’un accord décisif avec Westinghouse en 1929.

Pendant cette période, la société Schneider gagne en puissance et développe en particulier un grand nombre de filiales en Europe centrale (dans le cadre d’une société appelée Union européenne industrielle et financière). Des industries mécaniques sont mises sous contrôle, en particulier en Tchécoslovaquie (usines Skoda, avions Milos Bondy, société de construction automobile ASAP).

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la société Schneider participe à la reconstruction et au début des Trente Glorieuses en construisant du matériel ferroviaire de pointe (en 1955, la BB 9004 bat le record du monde de vitesse avec 331 km/h) ou en construisant des turbines pour les centrales hydroélectriques. La dernière grande mutation de l’entreprise est due à la sagacité de Charles Schneider qui engage la société dans l’aventure nucléaire. La maîtrise des aciers spéciaux et de la technologie électrique lui permet de participer activement aux recherches. Il fait le choix de développer en France la technologie des réacteurs PWR sous licence Westinghouse qui seront adoptés officiellement après l’abandon des premiers réacteurs à graphite. C’est pour assurer le développement de ce secteur qu’a été créée en 1958 la Société franco-américaine de constructions atomiques (Framatome).

Compte tenu de la situation du Creusot et de la nécessité de compenser les handicaps du site et des ressources naturelles, la plus value par la transformation des produits est essentielle. C’est pourquoi, à l’innovation technique s’est constamment ajoutée chez les Schneider un souci social. On pourrait parler d’innovation sociale : c’est le paternalisme.

Une dynastie - Réussite technique et économique - Le paternalisme en action - Aménager l'espace - Un empire industriel - Les grèves - La chute - Ce qu'il reste aujourd'hui

Texte disponible sur http://histoire-geographie.ac-dijon.fr/Bourgogne/DocBourg/Schneider/schneide.htm. Ce texte a été présenté au cours des journées interacadémiques de Nancy organisées par l’Inspection générale d’histoire-géographie les 17 et 18 mars 1998 sur le thème du local à l’universel.
Nos remerciements à Madame Annie COMPOS (professeur d’histoire-géographie – lycée Lamartine, Mâcon) et à Monsieur Stéphane GACON (professeur d’histoire-géographie – lycée Carnot, Dijon) auteurs de cette étude, qui ont autorisé la reproduction de ce document sur le site www.lecreusot.com.