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Les Etablissements Schneider

Economie sociale

Les Délégués ouvriers

Après un historique du Creusot de 1253 à 1912, cet ouvrage (non signé) présente les "bienfaits" apportés par les Schneider à la population du Creusot. Véritable bible du paternalisme, on ne pourra réellement apprécier son contenu qu'en faisant un rapprochement avec le livre de Jean-Baptiste DUMAY : Un fief capitaliste.

Documents et textes d'après
"Les Etablissements Schneider - Economie Sociale"
1912 - Lahure Ed.

Economie Sociale

LES DELEGUES OUVRIERS

« L'ouvrier, et particulièrement l'ouvrier français, est très sensible au sentiment de la justice, et ce sentiment est un facteur dont il faut tenir le plus grand compte. Les chefs doivent donc avant tout être justes, et régler les questions dans un esprit de bienveillante équité. » Cette opinion, émise il y a quelque vingt ans par un technicien distingué, doublé d'un sociologue, M. Ledoux (L'organisation du travail dans les mines, par Ch. Ledoux, Ingénieur en Chef des Mines, Professeur à l'École Nationale Supérieure des Mines; Paris, Chaix 1890, p. 9) doit inspirer toute entreprise industrielle vraiment consciente de sa tâche et de son rôle. Nous n'ajouterons point, comme on le répète parfois, qu'une pareille doctrine doit être suivie aujourd'hui plus que jamais, car, si les évolutions économiques apportent des modifications dans les rapports sociaux, le désir sincère de l'équité peut seul, à toute époque, constituer la base de bons rapports durables entre un patron et ses collaborateurs.
Les fondateurs du Creusot eurent profondément ce souci de justice : des actes nombreux en sont la preuve la plus sûre. La tradition n'est point morte avec eux et une organisation assez récente, rendue plus nécessaire par le développement considérable des Établissements Schneider, a déjà prouvé son efficacité pour la maintenir: nous voulons parler des Délégués ouvriers.
Créée en 1899, elle a pour but de servir d'intermédiaire entre les ouvriers et leurs chefs, pour toutes les questions susceptibles de les intéresser. Le principe de cette organisation, et c'est peut-être là un de ses premiers mérites, est nettement professionnel.
Les ouvriers de chaque atelier sont constitués en corporations, et chaque corporation élit, pour la représenter, un Délégué et un Délégué suppléant. Sont électeurs tous les ouvriers français de la corporation, pourvu qu'ils jouissent de leurs droits politiques et qu'ils soient inscrits sur la dernière feuille de paye. Sont éligibles, à condition de savoir lire et écrire, les électeurs, âgés de vingt-cinq ans, travaillant aux Établissements Schneider et dans la même corporation depuis deux ans. Ces conditions sont plus libérales que celles régissant les élections de diverses représentations ouvrières, poursuivant un but analogue (En Allemagne notamment, dans certains cas, les électeurs sont tenus d'avoir deux ans et les éligibles cinq ans d'ancienneté); elles correspondent aux garanties raisonnables que les ouvriers eux-mêmes doivent désirer rencontrer pour être bien représentés.
L'élection, au premier tour de scrutin, se fait à la majorité absolue des suffrages exprimés, avec obligation de réunir au moins les voix d'un quart des électeurs inscrits. Si un deuxième tour de scrutin est nécessaire, il suffit d'obtenir la majorité relative, quel que soit le nombre des votants.
Pour bien remplir leur mission, les délégués doivent non seulement être des ouvriers de la corporation qu'ils représentent, mais il importe aussi qu'ils en connaissent personnellement tous les membres et qu'ils soient connus d'eux. Pour arriver à ce résultat, chaque corporation comprend, au maximum, cinquante électeurs.
Les Délégués sont élus au scrutin secret pour un an. Dans le cas de vacance, par démission ou autrement, il y a une élection partielle et le nouvel élu est nommé pour le temps restant à courir jusqu'au terme assigné aux fonctions de celui qu'il remplace. A partir de leur élection, les Délégués et les Délégués suppléants sont chargés d'examiner les desiderata ou les réclamations des membres de leur corporation, de les discuter avec eux, et, lorsqu'ils leur paraissent fondés, de les soumettre, tout d'abord, au contremaître ou au chef d'atelier.
Tous les deux mois, et plus souvent en cas d'urgence, les Délégués peuvent saisir les chefs de service des demandes ou des réclamations qui n'auraient pas été réglées au gré des intéressés. Enfin, après avoir conféré avec le chef de service, ils peuvent, s'ils le désirent, en appeler des solutions adoptées à la Direction du personnel.
Il reste entendu, d'ailleurs, que tous les ouvriers conservent le droit individuel de présenter eux-mêmes, et chaque jour, leurs réclamations à leurs chefs dans le service et ensuite, au besoin, à la Direction du personnel, sans être tenus de passer par l'intermédiaire du Délégué de leur corporation. En fait, les réclamations isolées sont devenues de plus en plus rares.
Si les Délégués sont exclusivement choisis par les ouvriers, et parmi eux, ils n'en deviennent pas moins, du fait même de leur élection, les agents que la Direction emploie à son tour, comme intermédiaires, pour toutes les communications qu'elle a à faire aux diverses corporations professionnelles, et aucun Délégué n'a été récusé.
Le Délégué a donc une double mission: d'une part, mission relative à l'amélioration du sort de ses camarades; d'autre part, mission de pacification et de conciliation ; on voit combien son rôle est à la fois délicat et important. Il jouit, presque toujours, étant élu en raison de sa valeur personnelle et de son expérience, d'une véritable autorité, qui lui permet, par des causeries amicales, de dissiper des malentendus, d'arrêter des réclamations sans fondement et, par suite, de prévenir des mécontentements et des conflits. Il appelle l'attention de ses chefs sur des améliorations que l'ouvrier voit souvent mieux que d'autres, et, s'il s'en produit, sur les erreurs ou les injustices commises. Enfin, si certaines revendications ne peuvent être admises, ses chefs le chargent, suivant l'expression de M. Millerand « de faire comprendre à ses camarades la nécessité et le bien fondé des mesures adoptées dans les ateliers ». (Discours prononcé à la Chambre des Députés le 24 novembre 1899)

Evolution du nombre de réclamations de 1900 à 1911

Les demandes acceptées et transmises par les Délégués sont examinées avec la plus grande bienveillance; en fait, depuis plusieurs années déjà, plus des 2/3 de celles formulées ont reçu satisfaction. Ces demandes peuvent s'étendre, et s'étendent pratiquement, à toutes les questions concernant les ouvriers: organisation du travail, chômage et durée du travail, discipline, salaire, matériel et outillage. Cette extension de la compétence des Délégués aux questions relatives au contrat du travail et à la discipline est très intéressante, car, d'après les statistiques, citées en particulier par l'auteur allemand Hitze, plus de conflits naissent à cause du règlement de l'atelier que par suite des taux de salaires.

Evolution des réclamations des Délégués ouvriers de 1900 à 1911

Il est à noter que les Délégués viennent souvent à la conférence avec leur chef de service, n'ayant aucune réclamation à faire, aucune demande à formuler, ou bien encore ils font avertir leur chef de service que, n'ayant rien à lui dire, ils ne viendront pas si lui-même n'a pas quelque communication à leur faire.
Cette organisation, demeurée spéciale aux Établissements Schneider, offre bien tous les caractères de la vraie délégation ouvrière d'usine : les Délégués, élus au scrutin secret, sont exclusivement choisis par les ouvriers et ne peuvent être que des ouvriers de la corporation qu'ils représentent, à l'exclusion de tout contremaître. Leur rôle est permanent et leurs rapports avec leurs chefs hiérarchiques, auxquels ils peuvent faire appel, sont périodiques, en dehors des cas urgents. Ils agissent enfin dans le cycle entier des intérêts des ouvriers dans l'usine et avec une compétence reconnue par les chefs.

Habitués ainsi, par la pratique même d'une telle organisation, à considérer non les personnes, mais les difficultés à vaincre, patrons et ouvriers sont amenés à travailler, dans un même esprit de confiance, à la solution féconde des questions ouvrières largement entendues.

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