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Les Etablissements Schneider

Economie sociale

Les allocations aux malades et aux blessés

Après un historique du Creusot de 1253 à 1912, cet ouvrage (non signé) présente les "bienfaits" apportés par les Schneider à la population du Creusot. Véritable bible du paternalisme, on ne pourra réellement apprécier son contenu qu'en faisant un rapprochement avec le livre de Jean-Baptiste DUMAY : Un fief capitaliste.

Documents et textes d'après
"Les Etablissements Schneider - Economie Sociale"
1912 - Lahure Ed.

Economie Sociale

LES ALLOCATIONS AUX MALADES ET AUX BLESSES

Dans l'effort considérable de législation sociale qui, sous l'empire de nécessités communes à tous les pays industriels, fut réalisé à la fin du XIX" siècle et depuis le commencement du xx", une place singulièrement importante est réservée aux dispositions visant la protection des travail­leurs contre l'incapacité éventuelle de subvenir à leurs besoins, du fait de la maladie, des accidents et de la vieillesse.
Nous aurons l'occasion d'examiner la question des retraites pour la vieillesse et de voir comment des initiatives privées ont parfois devancé hardiment les revendications de l'opinion et les prescriptions législatives; la même constatation s'impose en ce qui concerne la maladie et l'invalidité.
La position actuelle de la question date, en réalité, en France, de la suppression des corporations. En vertu du principe familial qui avait inspiré le développement de celles-ci, elles veillaient elles-mêmes aux divers besoins de leurs membres et, si l'un d'eux tombait malade ou était victime d'un accident dans son travail, il recevait de son groupement professionnel aide et assistance.
Les tendances individualistes, qui résultèrent de la suppression complète de la réglementation du travail, et dont la répercussion se fit sentir dans les Codes, n'apportèrent aucune autre sauvegarde que celles du droit commun à l'ouvrier, malgré la fonction sociale, spéciale et nouvelle, que lui créa de plus en plus le développement du machinisme et de la grande industrie.
Il fallut près d'un siècle aux diverses législations européennes pour donner corps à des principes, dont le nombre des partisans s'accroissait sans cesse, mais contre lesquels luttaient encore certains intérêts et la force de l'habitude. L'Allemagne et l'Autriche, de 1883 à 1888, furent les premières à édicter des lois sur les accidents et les maladies professionnels. Dans la plupart des autres pays, cette partie du Code du Travail fut surtout développée pendant les quelques années qui précédèrent et suivirent 1900. En France, la loi sur les accidents du travail date du 9 avril 1898 ; les projets relatifs au cas de maladie sont encore à l'étude et aucune obligation n'existe jusqu'ici à son sujet pour les patrons.
Toutefois, un certain nombre d'industriels et de Sociétés n'ont point attendu l'heure des contraintes impératives pour accomplir envers leur personnel une œuvre qui leur paraissait à la fois de bonté et de justice. Il semble bien, d'après les documents publiés, que MM. Schneider furent parmi les premiers promoteurs de ce mouvement et il n'est pas sans intérêt de rappeler les dispositions générales inscrites par eux dans les statuts de la Caisse de Prévoyance qu'ils instituèrent en 1838. Si l'on intervertissait les dates, on pourrait croire effectivement que ces dispositions découlent des principes fondamentaux dominant les législations récentes.
La Caisse de Prévoyance, d'après le règlement initial, accorde, indépendamment des soins médicaux et pharmaceutiques, des allocations pécuniaires « aux ouvriers blessés ou malades par suite de leurs travaux et elle assure des pensions aux veuves et aux orphelins des ouvriers qui viendraient à périr dans les travaux de l'Établissement ». Les allocations sont accordées pour toute blessure entraînant une incapacité de travail de vingt jours et pour toute maladie résultant du genre de travail de l'ouvrier; pour les accidents, les allocations sont données à dater du jour de la cessation du travail, pour les maladies, dix jours après. A partir de 1861, l'allocation maladie est étendue aux maladies fortuites ou constitutionnelles, ne résultant pas du fait du travail. De plus, le délai d'incapacité de travail donnant droit à une allocation est réduit à cinq jours pour les blessés comme pour les malades. Les allocations partent toujours de la date de l'accident pour les blessés et du cinquième jour pour les malades.
Le montant de l'allocation est d'un tiers de la valeur de la journée de travail, avec maximum de deux francs par jour. Au-dessous de ce chiffre, une majoration est accordée pour chaque enfant âgé de moins de dix ans. Ces allocations journalières sont accordées pendant six mois; au delà de ce délai, il est accordé des pensions d'invalidité aux ouvriers restant infirmes, du fait d'accidents, et devenus par suite incapables de gagner leur vie comme précédemment.
Les veuves d'ouvriers, décédés à la suite d'accidents du travail, reçoivent à partir du jour de décès de leur mari, et tant qu'elles ne se remarient pas, une pension viagère, majorée si elles ont des enfants de moins de dix ans, et proportionnellement à leur nombre. Les enfants, dont le père est mort victime d'un accident du travail, et qui perdent également leur mère, reçoivent aussi une pension jusqu'à l'âge de dix ans. En 1861, le taux de ces diverses pensions est augmenté et l'âge des enfants, donnant droit à un supplément d'allocation ou de pension, est porté de dix à quinze ans.
Le fait qui frappe tout d'abord à la lecture de ces statuts, c'est la reconnaissance absolue du principe du « risque professionnel », fort bien défini par M. Cheysson, « le risque afférent à une profession déterminée, indépendamment de la faute du patron et des ouvriers ». En effet, les allocations sont données, sans distinction de la cause de l'accident, aux ouvriers blessés ou malades « par suite de leurs travaux » : cela est d'autant plus intéressant que, pendant de longues années après la création de la Caisse de Prévoyance, et même jusqu'à la veille de la promulgation de la loi de 1898, la jurisprudence française a maintenu le fondement juridique de la limitation de la responsabilité patronale - donnant à l'ouvrier blessé droit à une allocation ou à une pension - au seul cas de faute prouvée à la charge du patron ou de l'un de ses préposés.
Or, ayant à utiliser et à maîtriser des forces inconscientes et redoutables, l'ouvrier est souvent victime d'accidents que rien ne pouvait faire prévoir et éviter, événements fortuits dont personne ne saurait être déclaré responsable. Parfois, sans doute, l'accident est dû à une imprudence, mais l'imprudence de l'ouvrier est, en certains cas, chose presque fatale : vivant au milieu du danger, familiarisé avec des mécanismes périlleux, il omet un jour, inconsciemment, certaines précautions, et la plus petite négligence peut entraîner sa mort ou sa mutilation.
Pour prémunir l'ouvrier contre ces possibilités d'accidents, nous avons indiqué combien de mesures de sécurité minutieuses ont été prises par MM. Schneider, tant par la protection de tout organe dangereux que par la précision des règlements d'atelier. Ceci fait, et sauf dans le cas de faute volontaire, il semble équitable, en l'état actuel, d'admettre, en matière d'accidents, la théorie du risque professionnel, acceptée d'ailleurs aujourd'hui par presque tous les pays industriels.
Une autre caractéristique du règlement de MM. Schneider, c'est l'assimilation de l' « accident » et de la « maladie » professionnels. On sait à quelles controverses prolongées a donné lieu la distinction, assez peu explicable, de ces deux sources d'invalidité. Non seulement le bénéfice des allocations fut étendu, dès le principe, par les Établissements Schneider, aux cas de maladies, contractées par suite des travaux effectués, mais, grâce aux modifications de 1861, le régime en fut appliqué à toutes les maladies, même à celles complètement indépendantes du risque professionnel. En même temps, le délai d'incapacité de travail, donnant droit à une allocation, était unifié à cinq jours, tant pour les malades que pour les blessés; c'est, à un jour près, le délai fixé par la loi de 1898.
Comme dans celle-ci, l'allocation est non point fixe mais proportionnelle au salaire, et la date d'origine de son paiement est fonction de la durée de l'invalidité. Les dispositions du règlement modifié de 1861 sont même, en un sens, plus larges que celles de la loi, puisque, pour les accidents, l'allocation était accordée dès le premier jour, en cas d'incapacité de travail de plus de cinq jours, tandis qu'il faut à l'heure actuelle légalement, une incapacité de dix jours pour que l'allocation parte du premier jour. La limite d'âge finalement admise pour les enfants, au sujet des suppléments de pensions, était de quinze ans, inférieure d'une année seulement à celle fixée par la loi. En ce qui concerne les pensions d'invalidité, celles accordées volontairement par MM. Schneider ont toujours été du même ordre d'importance relative que celles actuellement imposées.
En supprimant la Caisse de Prévoyance, en 1872, MM. Schneider prirent entièrement à leur charge, sans aucune retenue sur les appointements et salaires de leur personnel, le montant des allocations de maladie et d'invalidité et les pensions, servies d'après les mêmes principes que par le passé.
Depuis la mise en vigueur de la loi de 1898, ils se sont naturellement conformés à ses prescriptions, pour les ouvriers blessés, mais ils cherchent encore à améliorer la situation de leurs agents, atteints d'invalidité partielle permanente, en réservant à ceux-ci certains emplois compatibles avec leurs infirmités (téléphonistes, marqueurs, magasiniers, commissionnaires). Ils parviennent ainsi à augmenter, très sensiblement dans bien des cas, les moyens de subsistance résultant des pensions accordées. Le salaire ou traitement des postes en question est calculé de manière à ce que, ajouté au montant de la pension, il donne une rémunération se rapprochant le plus possible de celle obtenue par l'agent avant son accident.
Pour les ouvriers malades, les mêmes règlements sont toujours en vigueur et MM. Schneider accordent spontanément, au Creusot, à Montchanin, à Perreuil, à Mazenay, à Decize, à tout agent ayant au moins trois mois de services, et dont l'incapacité de travail dure plus de cinq jours, une allocation égale au tiers du salaire journalier, avec maximum de deux francs. Cette allocation peut être attribuée pendant six mois. Les ouvriers soignés à l'Hôtel-Dieu reçoivent aussi, malgré leur hospitalisation gratuite, une allocation réduite et variable, suivant qu'ils sont célibataires ou mariés, avec ou sans enfants.
En dehors des usines et mines susvisées, les allocations de maladie ne sont pas données directement par MM. Schneider. Avec les encouragements et subventions de ceux-ci, le personnel a fondé des mutualités, qui se chargent des soins médicaux, du service pharmaceutique et des allocations de maladie.
Dans le cas où les allocations ainsi accordées, directement où indirectement, ne sont pas suffisantes pour des familles nombreuses ou nécessiteuses, des secours supplémentaires peuvent être remis à titre exceptionnel.
Pour leur personnel employé, MM. Schneider assurent actuellement le traitement intégral des agents malades pendant quatre mois; si la maladie se prolonge, ils accordent encore la moitié du traitement du cinquième au huitième mois et le quart du neuvième au douzième mois.

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